Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins de donner à la masse de la population une instruction élémentaire. Il y a là, en somme, un très réel progrès, que les Chinois n’ont pas fait.

En Extrême-Orient l’écriture et la littérature se tiennent de si près que le Japon devait être conduit à s’inspirer de la littérature chinoise. Toutefois le génie propre de la nation s’est donné carrière dans les genres populaires, les romans, les contes, les légendes, les pièces de théâtre et les chansons, qui rappellent un peu nos fabliaux, nos chansons de gestes, nos mystères et nos vieilles chroniques.

En matière religieuse non plus l’imitation ne fut pas servile. La Chine, au VIIIe siècle, se partageait entre le bouddhisme et le taosséisme, sans parler des doctrines de Confucius, Les Japonais firent preuve d’un heureux discernement, en laissant à leurs voisins le taosséisme. De plus, ils donnèrent aux dieux nationaux une place dans le nouveau Panthéon. Enfin le bouddhisme lui-même se développa et se transforma. En quelques siècles, huit ou dix sectes se fondèrent, les unes s’inspirant de la philosophie la plus élevée de Çakya-Mouni, les autres mieux adaptées peut-être aux besoins intellectuels des classes inférieures.

Enfin l’art fournit un dernier témoignage de l’originalité que les Japonais ont su allier à leur goût pour l’imitation. L’art chinois semble plus puissant, plus grandiose et plus fortement créateur. Mais l’art japonais est plus souple, plus fin et plus près de la nature. Si le céramiste chinois l’emporte quelquefois par la science de ses procédés, son confrère japonais lui est supérieur par le goût et le talent d’harmoniser les couleurs. En peinture, à côté des écoles japonaises qui se réclament de la Chine, il en est qui lui doivent bien peu. Elle n’offre rien d’analogue, par exemple, aux œuvres popularisées par la gravure, comme celles d’Hokousai ou de Hiroshige, de Tosa, de Toba ou de Kiosai. En architecture, l’analogie n’existe même plus, sauf dans les monumens sacrés : les maisons japonaises sont des modèles d’élégance et de gaîté; les rues des villes, largement aérées, sont saines et riantes dès que paraît un rayon de soleil ; en Chine, la maison est triste et sombre; les rues étroites respirent la puanteur et l’humidité. Bref, l’art japonais procède de l’art chinois, mais sans en être une copie, et sur bien des points l’élève a dépassé le maître.


IV

Quand, en 1542, des Portugais furent conduits par les hasards de la navigation sur les côtes du Japon, ils y trouvèrent, au lieu