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à peine l’agriculture : « Ils n’avaient ni bœufs, ni chevaux, ni moutons, ni poules. Ils marchaient nu-pieds, mangeaient avec leurs doigts et portaient sur eux, grâce au tatouage, leurs quartiers de noblesse. Les hommes se vêtaient de lés d’étoffes, placés en travers et retenus ensemble au moyen de nœuds ; la robe des femmes était une simple pièce de toile avec un trou pour passer la tête. » Des voyageurs chinois du IIIe siècle signalent dans l’archipel japonais un peu d’agriculture, mais encore à l’état rudimentaire et exceptionnel. Marins hardis, les Japonais préféraient aller piller les villages coréens ou échanger au loin leur poisson contre du riz.

Selon les annales japonaises, cet état de choses aurait cessé, comme par miracle, en l’an 285. Un Coréen nommé Wani aurait alors importé au Japon l’écriture et toutes les sciences chinoises. L’assertion est à tous égards inacceptable. D’une part, l’étude des caractères idéographiques, seule écriture pratiquée en Chine, devait alors présenter, vu la pénurie des livres et des professeurs, d’incroyables difficultés. Elle ne pouvait donc se propager au Japon que très lentement. D’autre part, il paraît établi, par les annales coréennes, que le Coréen en question ne passa au Japon qu’en l’an 405. D’ailleurs les Japonais étaient alors dans un état bien primitif pour accepter brusquement une civilisation aussi raffinée qu’était la civilisation chinoise. La perfection des produits matériels de la Chine pouvait les frapper ; mais sa supériorité intellectuelle et morale devait leur demeurer inintelligible. Pour qu’ils la pussent goûter, une sorte d’initiation graduelle était nécessaire.

L’histoire nous enseigne que ce sont presque toujours et partout les religions qui ont rempli ces fonctions d’éducatrices et d’initiatrices. Or, parmi les religions de la Chine, il en est une qui convenait merveilleusement à ce rôle : le bouddhisme. Depuis sa diffusion en Chine au Ier siècle et en Corée au IVe, le bouddhisme s’était comme matérialisé et humanisé, pour s’adapter au génie positif des races de l’Extrême-Orient. Ses prêtres offraient au peuple le spectacle de cérémonies magnifiques et lui imposaient une foule de petites pratiques, à l’observation minutieuse desquelles les esprits simples sont trop heureux de s’astreindre. Les gracieuses légendes enfantées par l’imagination hindoue éveillaient la poésie latente qui sommeille dans toute âme humaine. Enfin Çakya-Mouni en exaltant par-dessus toutes choses la charité et la pureté, sans plus s’attacher aux distinctions de caste et de race, ne pouvait manquer d’attirer à sa religion les humbles et les déshérités du monde.

C’est au milieu du VIe siècle que le bouddhisme commença à