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Savery en 1705, brevets dont les auteurs empruntèrent à Papin l’idée du piston mû par la vapeur et celle de la condensation de cette dernière. Cela résulte non seulement de la publicité incontestable des travaux de Papin en 1690 et 1695, mais aussi des relations de Newcomen avec Hookes, par qui il avait eu une connaissance raisonnée de l’invention de Papin.

Mais ce que Papin n’avait pas réussi à obtenir, c’est-à-dire l’application de la machine à vapeur à l’industrie, les artistes anglais y parvinrent. Il fallait pour cela, reconnaissons-le hautement, qu’à un inventeur proprement dit, homme à projets, confiné dans ses ateliers privés, succédassent des ingénieurs proprement dits, rompus aux traditions de l’industrie. C’est là le mérite réel des Anglais, qui rendirent pratiques les machines de Papin, à l’aide de dispositions techniques bien mieux appropriées.

Il convient de mettre ici les choses au point et de les présenter sous leur jour véritable. Autre chose est la priorité scientifique, qui appartient à Papin, et la propriété industrielle, sanctionnée par la législation des brevets, qui fut dévolue à Savery, Newcomen et Cawley. Aucun reproche ne saurait être adressé à ces derniers, quelque dure que cette législation pût paraître au premier inventeur. Dès lors la machine à vapeur commença à se répandre vers 1710. Cependant le nouvel engin n’a pris tout son essor qu’à la suite des travaux de Watt (1769). Watt est, à proprement parler, le second fondateur de la machine à vapeur.

Ce n’est pas ici le lieu de refaire l’histoire complète de cette machine, devenue désormais étrangère à son premier inventeur. Mais il y aurait une extrême injustice à oublier de dire que Papin a le premier appliqué son invention à la marche des navires, ainsi qu’il en annonçait le projet dès 1690. Il a construit le premier bateau à vapeur qui ait navigué, bateau dont nous avons rappelé plus haut la catastrophe.

Tandis qu’il a pu voir les premières applications de sa machine à l’industrie, applications cruelles pour lui, parce qu’elles étaient faites par d’autres, qui ne lui en ont su aucun gré; il devait au contraire s’écouler plus d’un demi-siècle, jusqu’au moment où Périer et le marquis de Jouffroy renouvelèrent des essais, qui devaient aboutir à transformer tout le système de la navigation.

Les chariots à vapeur, que Papin avait aussi entrevus comme en rêve, et dont il avait bien jugé la difficulté supérieure à celle des bateaux, sont venus plus tard encore. Papin et ses contemporains ne soupçonnèrent pas l’invention des rails, nécessaires à la marche des chemins de fer, et la génération à laquelle j’appartiens se souvient encore d’avoir assisté à leur construction.