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Quittons la région des merveilles pour rentrer dans l’ordre scientifique. On a coutume de citer à propos des machines à vapeur quelques phrases vagues de Roger Bacon sur les vaisseaux, qui parcourront un jour les mers sans rameurs, et sur les chars rapides, destinés à marcher sans le secours d’aucun animal : c’étaient les rêves d’un enthousiaste, entrevoyant la puissance future de la science. Mais on ne saurait pas y chercher plus de réalité que dans les prophéties de Sénèque le Tragique, sur les terres situées au delà de l’ultima Thule.

En 1826, de Navarette a publié, dans la Correspondance astronomique de Zach, une note, soi-disant originaire des archives de Simancas, d’après laquelle un nommé Blasco de Garay aurait proposé, en 1543, une machine pour faire aller les navires sans rames ni voiles. La force motrice de la machine est demeurée inconnue ; en outre, ce qui est plus grave, le document en question n’a jamais été publié, ni même vu depuis, par aucune personne digne de foi. Jusque-là, il sera prudent de réserver son jugement.

Peut-être le lecteur me permettra-t-il de rapprocher de cette annonce les textes authentiques suivans, qui figurent dans un manuscrit latin (n° 197) de la Bibliothèque royale de Munich. C’est un manuscrit à figures, relatif à l’artillerie et aux arts mécaniques, avec légendes en vieil allemand ; sa date est voisine de l’an 1430. J’en ai reproduit, par photogravures, et publié avec commentaires 25 pages, dans les Annales de physique et de chimie (6e série, t. XXIV, 1891). Au folio 17 verso (p. 456 de la publication), on voit un bateau à roues, sans rameurs, et la légende suivante : « Ceci est un bateau avec quatre roues à aubes, desservies par 4 hommes... Ce navire peut porter 20 hommes d’armes... Le vaisseau doit être couvert pour qu’on ne puisse voir les hommes. Sur le devant, il aura un éperon de bataille, et de chaque côté, une pointe secondaire et un canon. Cela s’appelle un vaisseau de combat, et les gens de Catalogne s’en servent pour être les maîtres des autres vaisseaux. »

Valturius (De Re militari, 1472) figure aussi des bateaux avec un couple et même avec cinq couples de roues. On voit que les bateaux naviguant sans voiles et sans rames (apparentes) existaient bien avant les bateaux à vapeur.

La Renaissance ayant remis au jour les anciens auteurs, l’expérience de l’éolipyle frappa plus d’un savant et d’un ingénieur, comme démonstration de la force de la vapeur. On fit même divers essais pour en tirer des applications : tel, par exemple, un tournebroche, mû directement par un éolipyle, imaginé en 1597, d’après R. Stuart (A descriptive history of the Steam Engine), et un moulin à poudre, décrit dans un ouvrage