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il fit bon accueil à certains colons célibataires, aux sœurs de Saint-Joseph, aux jésuites, aux trappistes établis depuis 1843 à Staouéli, les aida puissamment dans leur entreprise, assista avec les autorités ecclésiastiques et civiles à la pose de la première pierre de la nouvelle abbaye : elle fut placée sur un lit de boulets ramassés sur le champ de bataille de Staouéli. Il mit à la disposition des Pères des sapeurs du génie, des condamnés militaires, et, faisant la part de Dieu, leur donna à plusieurs reprises des troupeaux de bœufs, de vaches et de moutons pris dans les razzias : même il obtint de l’évêque de Valence un secours de dix mille francs pour continuer les travaux de construction qui menaçaient de rester inachevés. Ni bigot, ni jésuite, disait-il de lui-même, mais humain et bon chrétien.

Moins d’un an après son retour en France, la monarchie de Juillet s’écroulait lamentablement, et il assistait à sa chute, impuissant, la rage au cœur, investi trop tard d’un commandement que la faiblesse du pouvoir achevait de paralyser, dénonçant avec force les causes immédiates de cette révolution, la défaillance d’un roi qui préféra tomber en philosophe, la campagne des banquets, la neutralité des baïonnettes intelligentes entre les émeutiers et les défenseurs de l’ordre, insensible à ces causes lointaines ou médiates qui, elles aussi, agirent puissamment contre le trône : le vice de l’institution de juillet 1830, la réforme électorale refusée ou ajournée, l’incapacité de la bourgeoisie à devenir un parti de gouvernement, la méconnaissance des aspirations légitimes de la démocratie, cette faute des conseillers de la couronne qui s’attachèrent à la lettre de la Constitution au lieu d’en respecter l’esprit, qui, loin d’entendre le silence de ceux qui ne parlaient point, s’enfermèrent obstinément dans l’étroite enceinte du pays légal, et ne découvrirent point l’immense région qui enserrait de toutes parts celui-ci. Retiré à la Durantie après ces terribles angoisses, menacé un instant par les mauvais gars des communes environnantes auxquels on avait persuadé que le Roi lui avait confié trente millions en pièces de cinq francs, Bugeaud revivait douloureusement le drame du 24 février, regrettant de ne pas les avoir sauvés malgré eux, dictant à sa fille bien-aimée, la comtesse Féray, des lettres, des brochures où il combattait avec sa lucidité habituelle les doctrines socialistes, toujours préoccupé de cette presse qui, même en 1845, au milieu de ses plus grands triomphes, empoisonnait son existence, de l’opinion publique, cette dispensatrice de la gloire en viager. Au mois de mars 1848, alors qu’on croyait à une guerre européenne, il avait offert ses services à Lamartine; ils furent refusés; il cherchait à se consoler