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son organisation, accru son armée régulière, élevé au sud de l’Atlas une ceinture de forteresses nouvelles : Thaza, Saïda, Tafraoua, Tagdent, où il cache son trésor, ses dépôts, ses fabriques, ses arsenaux ; il fait prêcher la guerre sainte dans toutes les mosquées, persuade aux indigènes que, semblables aux poissons, nous ne pouvons vivre qu’à la mer. « La haine du chrétien est un héritage légué par les aïeux, et l’on ne saurait renier cet héritage. Le paradis n’est-il pas au bout de leurs fusils ? » Fidèles à la voix des marabouts, les Arabes oublient leurs défaites, s’exaltent au moindre succès, se promettent d’expulser l’infidèle de la terre musulmane, d’envahir ensuite la terre chrétienne. « Oui, le sultan enverra l’aman aux chrétiens, ils lui conduiront des gadas, disant : « Seigneur des Seigneurs, vous êtes le couteau et nous la chair, tranchez comme il vous plaira ! »

Vers la fin de 1840, on avait occupé Milianah et Médéah ; mais les garnisons étaient bloquées, on ne pouvait leur porter des vivres sans livrer de sérieux combats ; l’ennemi poussait des partis jusqu’auprès d’Alger, il fallait 1 500 hommes pour aller à Blidah. La campagne déserte, la confiance partout ébranlée, la population européenne diminuant, aucune relation avec l’indigène qui n’apportait ni un œuf ni un bœuf, impossibilité d’aller à un quart de lieue d’Oran sans risquer sa tête, ce tableau de la situation avait éloigné du maréchal Valée la plupart de ses partisans : le ministère du 12 mai 1839 songeait à le rappeler vers la fin de décembre, mais le duc d’Orléans, son protecteur, était parvenu à conjurer l’orage. Bugeaud l’explique fort nettement dans une lettre du 5 janvier 1840, où, n’osant s’en prendre directement au prince, il décharge sa mauvaise humeur sur les ministres :


Après m’avoir répété avec développement ce qu’il m’avait dit dans ses lettres, après avoir ajouté qu’il avait acquis plusieurs fois, en Afrique, la conviction que j’étais l’officier général le plus désiré de l’armée, il m’a conseillé d’accepter une division sous les ordres du maréchal Valée. De mon côté, j’ai répondu d’abord ce que j’avais déjà dit au G. de B..y… et j’ai ajouté : « Si j’ai l’opinion, les vœux de l’armée, si mes principes de guerre sont les seuls applicables à l’Afrique, si, au moyen de ces principes, j’ai seul battu Abd-el-Kader, toutes choses que dit V. A. R., je suis l’homme que vous devez chercher pour le mettre à la tête de l’armée. La grande opinion que V. A. veut bien avoir de moi, et le sentiment que j’ai de ma force, ne me permettent pas d’accepter une division sous les ordres d’un homme qui, à mon avis, ne connaît pas la guerre d’Afrique : je jouerais là un rôle de caporal qui ne va plus à mon âge et âmes antécédens militaires. Depuis 1810, j’ai toujours été détaché, c’est-à-dire que j’ai commandé en chef. Je commandais en 1815 l’avant-garde de l’armée des Alpes, et j’ai gagné seul trois combats, dont un des plus mémorables ; enfin j’ai commandé deux fois en chef en Afrique, et j’ai battu trois fois Abd-el-Kader. M. le maréchal Valée