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de bâts et de sacs ; et l’on pourra passer de la défensive à l’offensive, s’écarter des routes battues, celles qu’on nomme les chemins du sultan, traverser montagnes et torrens. Ayant ainsi rendu sa division indépendante du convoi, il se rend à Tlemcen, revient à la Tafna, met en défaut la vigilance de l’émir. « Ce Français est un renard, s’écrie le prince des croyans, et son armée est un serpent, mais sera-t-il un lion ? » Et séduite par l’espoir de s’emparer des approvisionnemens destinés à la garnison de Tlemcen, l’armée musulmane quitte les hauteurs, vient livrer bataille aux chrétiens en rase campagne, au confluent de la Sickah et de l’Isser. Avoir attiré l’ennemi où il veut, c’est pour Bugeaud l’avoir vaincu ; dès huit heures du matin, le combat est terminé : 1 200 Arabes tués, 130 prisonniers, 700 fusils, 6 drapeaux tombent entre nos mains ; de notre côté on ne compte que 32 hommes tués et 70 blessés ‘6 juillet 1836).

Moins d’un an après, il revenait en Algérie : le maréchal Clauzel ayant subi un grave échec devant Constantine, le sentiment national se prononça fortement pour une réparation complète. Le gouvernement porta l’effectif de 31 000 à 43 000 hommes, nomma le général de Damrémont gouverneur général et Bugeaud commandant de la province d’Oran, avec la mission secrète de traiter le plus tôt possible avec Abd-el-Kader. Le 30 mai 1837, Bugeaud signait le traité de la Tafna qui fut ratifié par les Chambres, malgré les violentes critiques de l’opposition, critiques justifiées par les avantages considérables accordés à l’émir : reconnu souverain indépendant, dispensé du tribut, ce dernier obtenait l’intérieur des provinces d’Oran et de Tittery, avec le district et le port de Cherchell qui lui donnait l’accès de la mer. Nous reculions ainsi jusqu’en 1830 sous le rapport de l’occupation territoriale, nous abandonnions des tribus fidèles qui avaient combattu sous nos drapeaux ; — mais cette convention pacifiait les provinces d’Alger, d’Oran, de Tittery, permettait à la division d’Oran de marcher sur Constantine. Et puis, comme dira plus tard Bugeaud à la tribune, les traités n’ont jamais lié les nations que quand ils sont conformes à leurs intérêts.

Il n’avait pas tardé à s’apercevoir que les Arabes sont nos maîtres en rouerie diplomatique. Il constate qu’ils ne disent jamais ni oui ni non, de peur de s’enferrer ; leur formule ordinaire est : s’il plaît à Dieu, quand Dieu voudra, cela est dans les mains de Dieu. Dans son entrevue avec Abd-el-Kader, celui-ci gardait l’avantage de l’étiquette et du décor de la force aux yeux de ses sujets, malgré la bravoure du général qui s’avança presque seul au milieu de son armée, et de sa forte main l’enleva de terre