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LE MARÉCHAL BUGEAUD.

agricoles ou qu’il propose de fertiliser les landes de Bretagne et de Gascogne avec le concours de l’armée, les territoires de l’Algérie par des colonies militaires, soit qu’il s’efforce d’introduire des cultures nouvelles, comme le mûrier, dans son département, toujours fidèle à sa devise : Ense et aratro. Et en effet, pourquoi l’armée, qui porte en elle tous les élémens d’une société, ne pourrait-elle, avec ses bras nombreux et à bon marché, produire une partie de ce qu’elle coûte ? s’il y a du trop-plein dans les villes, qui empêcherait de l’employer dans les campagnes ? et pourquoi l’agriculture, mieux connue, donnant des résultats certains, ne deviendrait-elle pas une carrière qui absorberait les intelligences oisives et, par leur intelligence même, dangereuses ? Ces idées réformatrices, Bugeaud les répandra continuellement, avec la ferveur de l’apôtre, sans se laisser décourager par l’égoïsme de ses auditeurs. Tout lui sera tribune et prétexte à conférence, l’écurie du paysan qu’il visite, le champ où il laboure, la route où il chemine. Et grâce à son activité, peu à peu le Périgord, une partie même du Limousin revêtent une nouvelle physionomie : aux maigres bruyères, aux prairies marécageuses, au bétail étique, aux métairies sordides, succèdent les champs bien cultivés, des fermes confortables, des prés largement drainés, des prairies artificielles nourrissant de beaux animaux ; mieux vêtu, mieux nourri, mieux logé, le paysan aime cet homme qui lui apporte la contagion du bon exemple. Il avait soin aussi, pour se mettre à la portée de ses Périgourdins, simple colonel ou maréchal de France, de leur parler presque toujours en patois, et l’on a conservé plusieurs de ces harangues où il leur distribuait la manne des conseils pratiques : tel, dans une langue moins rustique, mais aussi claire, aussi incisive, s’adressait aux paysans du Bourg-d’Iré, un autre agriculteur, le comte de Falloux.

La révolution de 1830 n’était pas pour affliger grandement le colonel Bugeaud. Il se trouvait sans doute heureux dans son horizon restreint, refusant d’assister aux conciliabules républicains ou bonapartistes de Périgueux et de Limoges ; mais l’action, maîtresse de tels hommes, devait tôt ou tard l’emporter dans des régions plus vastes, plus orageuses aussi. Croyant la guerre imminente, il demande donc du service au lendemain des journées de Juillet, et reçoit le commandement du 56e de ligne, en garnison à Grenoble. Là, tout en instruisant ses soldats, il suit d’un regard inquiet les premières aventures du nouveau régime. Deux tendances se manifestaient, deux partis s’étaient aussitôt formés parmi les vainqueurs de 1830 : — ceux-ci prétendant que Louis-Philippe avait été couronné non parce que, mais quoique Bour-