Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pliquent à d’aussi grands objets, et que les conditions géographiques du pays s’accordent d’ailleurs pour que tous les intérêts en présence puissent recevoir, sans se heurter, sans se contrarier, leur pleine et entière satisfaction. Ce n’est pas ici le lieu de faire un cours de géographie indo-chinoise ; au surplus, tout le monde sait que l’Angleterre a ses voies naturelles de pénétration en Chine et que la France a les siennes. Le Mékong seul nous aurait peut-être divisés : heureusement il n’est plus navigable en se rapprochant de la Chine. Excellent comme frontière, il est nul comme voie de pénétration. Et c’est pour cela que, ne pouvant pas nous diviser, il est, au contraire, particulièrement propre à nous séparer, c’est-à-dire à nous mettre d’accord chacun d’un côté, les uns à droite, les autres à gauche. Nous sommes convaincus que, malgré toute la fumée qu’on soulève autour de cette question artificielle, on n’en obscurcira pas la clarté. Tout le monde sent d’instinct, aussi bien en Angleterre qu’en France, que le Mékong est la frontière inévitable et finale des deux pays.

En veut-on une preuve ? Nous pourrions en donner un assez grand nombre, en les empruntant toutes aux manifestations de l’opinion anglaise ; mais il en est une qui nous paraît saisissante, tout en conservant un caractère particulièrement piquant. Il faut rendre hommage au journal le Times. C’est le plus grand journal de l’Angleterre, c’est peut-être le plus grand journal du monde. Nous ne sommes pas habituellement d’accord avec lui, mais il nous est impossible de nous en passer. Il sait tout, et s’il n’argumente pas toujours dans le sens de la droite logique et de la bonne politique, il offre du moins à ses lecteurs un réservoir de documens qui, par son étendue, sa variété, son abondance, rend les plus grands services aux publicistes de tout l’univers. Le savoir de ses rédacteurs égale leur talent, et nous nous inclinerions presque docilement devant leur compétence si elle était toujours exempte de parti pris : malheureusement, elle ne l’est presque jamais. Quoi qu’il en soit, le Times est une autorité si grande, si imposante, si volumineuse, qu’on serait très en peine pour la contester si ce même journal n’offrait pas le plus souvent, en cherchant bien, des armes contre lui-même. Il a fait contre la presse française, à propos de la question du haut Mékong, une campagne des plus brillantes. Rien n’échappait à sa perspicacité. Il redressait toutes les erreurs, il citait tous les textes, il niait, affirmait, dogmatisait : à l’en croire, les droits de la Birmanie, c’est-à-dire du Xieng-Keng, c’est-à-dire de la Grande-Bretagne s’étendaient sur le Muong-Sing et plus loin encore à l’est du Mékong. En même temps le Times annonçait depuis plusieurs semaines, non sans quelque fracas, l’apparition d’un atlas qui devait contenir le dernier mot de la géographie contemporaine, l’inventaire définitif de tous les continens et de toutes les mers. Oh ! la belle réclame, qu’avec