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grave ? Ne suffisait-il pas de s’en plaindre, au lieu d’exercer des représailles d’un caractère infiniment plus compromettant ? La commission technique anglaise est arrivée sur les lieux avant la nôtre. Le lieutenant Sterling a cru l’occasion propice pour revenir à la charge contre le malheureux roi de Muong-Sing. Il l’a menacé de mettre la main sur ses États ; il a employé contre lui tous les procédés d’intimidation ; il n’a négligé aucun moyen pour l’amener à se soumettre. Cette fois encore, et toujours sans conseil d’aucune sorte, le roi a refusé de plier ; il a de nouveau pris la campagne, il la tient encore. On conviendra que, s’il y a eu des excès de zèle commis de part et d’autre, les plus caractérisés ne l’ont pas été de notre côté. Et il n’y a pas eu autre chose dans toute cette affaire. Nous ne rendons pas le gouvernement anglais responsable de tout ce que ses agens ont pu faire, pas plus qu’il ne doit imputer au nôtre la responsabilité de tous les actes de ses subordonnés. On sait combien il est difficile, ou plutôt impossible à une aussi grande distance de diriger et de modérer la conduite de ceux qui sont sur place et qui, soumis aux nécessités de chaque jour, s’en tirent de leur mieux. Le rôle des gouvernemens est de remettre les choses à leur point, et lord Salisbury l’a bien compris lorsqu’il a tenu à la Chambre des lords le langage prudent et modéré que nous avons résumé plus haut. Quant à nous, nous ne demandons qu’une chose, à savoir le rétablissement de la situation qui existait le 25 novembre 1893, jour où le protocole a été signé. Cela fait, les deux gouvernemens étudieront les rapports de leurs agens techniques et l’accord ne sera pas entre eux bien malaisé.

Il est impossible d’en douter lorsqu’on pense qu’il s’agit d’un territoire dont la population — nous parlons du Xieng-Keng et du Muong-Sing réunis — ne comprend pas plus de cinq ou six mille habitans. Le règlement à l’amiable des difficultés de ce genre est beaucoup mieux fait pour montrer le bon esprit de deux gouvernemens et pour resserrer leurs rapports, que pour mettre leurs intérêts en conflit. Nous en avons, les Anglais et nous, d’assez considérables dans ces lointaines régions, mais ils ne sont certainement pas aussi opposés qu’on veut bien le dire, et leur siège principal n’est pas sur le haut-Mékong. Ils se résument dans le besoin que nous avons, les uns et les autres, d’assurer notre pénétration commerciale sur des points bien choisis de la Chine méridionale. Sur le but à atteindre, nous ne pouvons rien sacrifier, et les Anglais ne nous sacrifieraient rien de leur côté : au surplus, il ne nous viendrait pas à l’esprit de leur demander de le faire. Rien n’est plus légitime, et, si on se place au point de vue de la civilisation universelle, rien n’est plus respectable que l’effort accompli par les Anglais dans leur sens, sinon celui que nous accomplissons nous-mêmes dans le nôtre. Les jalousies réciproques ont quelque chose d’étroit, de mesquin, presque de puéril lorsqu’elles s’ap-