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Les commissaires des deux pays sont partis pour remplir leur mission. Ils ont remis depuis à leurs gouvernemens des rapports qui n’ont pas été encore livrés à la publicité. Mais la presse nous a successivement rapporté tout ce qui s’était passé, du moins en tant qu’incidens matériels, et c’est là-dessus qu’elle a, de part et d’autre, échafaudé ses griefs. Un fait certain et fâcheux est que le lieutenant Sterling a établi un poste militaire à Muong-Sing. Il y a là une violation flagrante du statu quo. Nous nous en sommes plaints, nous nous en plaignons encore. On nous répond, comme à l’ordinaire, que c’est nous qui avons commencé. Cette allégation est-elle fondée ? Si elle l’était, cela pourrait expliquer l’acte accompli par le lieutenant Sterling, sans toutefois le légitimer. Mais que nous reproche-t-on ? Il paraît que notre agent à Xieng-Kong a donné un drapeau tricolore au roi de Muong-Sing et, de plus, qu’il a élevé chez lui un blokhaus. Ce sont là deux faits qui demandent encore à être envisagés séparément. La construction d’un blokhaus, sur la rive gauche du Mékong, et sur un territoire qui ne nous est pas contesté puisqu’on nous demandait de le céder à l’État-tampon, rentrait strictement dans l’exercice de notre droit. Que notre agent ait eu tort ou raison d’élever ce blokhaus au moment où il l’a fait, nous n’en savons rien, car nous ignorons si sa sécurité était menacée, mais il a pu croire qu’elle l’était après l’occupation de Muong-Sing par les Anglais, et, dès lors, la précaution qu’il a prise, probablement sans intention de la perpétuer indéfiniment, ne pouvait pas constituer un grief sérieux contre nous. Quant au drapeau que notre agent aurait remis au roi de Muong-Sing, ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de le donner, mais bien le roi qui le lui a demandé ? Et pourquoi le roi a-t-il demandé ce drapeau ? Encore une fois, nous ne voulons entrer dans aucune polémique, nous nous contentons d’exposer les faits. Dès avant l’arrivée des commissaires techniques des deux pays, à la fin de 1893, le lieutenant Sterling s’est rendu auprès du roi de Xieng-Keng-Muong-Sing, et il lui a intimé l’ordre de payer exclusivement tribut à la Birmanie pour la totalité de ses États. Voilà le fait initial : s’il est contesté, nous le prouverons. Qui pourrait dire qu’il ne portait pas atteinte à la situation antérieure ? Le roi était seul. Aucun de nos agens n’était près de lui. Il n’a pas reçu de nous le moindre conseil. Il n’a été l’objet d’aucune suggestion extérieure. Pourtant, il s’est refusé énergiquement à l’acte qu’on lui prescrivait ; il a préféré rompre avec le lieutenant Sterling, protester et se retirer dans la brousse. Le lieutenant anglais s’est retiré à son tour ; le roi est revenu ; c’est alors qu’il a demandé à notre agent à Xieng-Kong un drapeau qui constatât, en ce qui concerne Muong-Sing, son attache avec le Siam. Notre agent, sans consulter personne, a donné le drapeau. Nous ne jugeons pas l’acte qu’il a accompli, mais, à supposer qu’il fût irrégulier, était-il bien