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M. Curzon y a excellé : on aurait cru qu’il n’avait jamais fait autre chose. Nous lui en adressons tous nos complimens. Sans doute, il ne nous a pas donné pleine satisfaction dans toutes les paroles qu’il a prononcées, et, sur plus d’un point, nous aurions des réserves à faire, et même des contradictions à opposer ; mais pourtant… quantum mutatus ! et comment ne pas lui savoir gré de sa métamorphose ? Il n’est pas jusqu’à cette question d’Egypte, qui pèse si lourdement sur les rapports des deux pays et sur la situation de l’Europe tout entière, (dont M. Curzon n’ait su parler de manière à ne rien compromettre, et presque à tout ménager. Il est vrai que la seconde fois qu’il a été appelé à s’expliquer sur ce sujet, il s’est tiré de peine en faisant remarquer qu’il n’y avait presque personne dans la salle des séances. Il a constaté l’absence de tous les anciens ministres, et plus particulièrement de sir William Harcourt. Était-il convenable, en l’absence du leader de l’opposition libérale, de traiter longuement d’une affaire aussi grave ? Sir Charles Dilke lui-même ne l’a pas cru. Il n’a pas insisté pour que le débat fût poussé plus loin. Il s’est contenté de remercier M. Curzon de n’avoir rien dit qui pût rendre plus laborieuse la solution d’une question où l’honneur et l’intérêt de l’Angleterre sont également engagés. On sait que sir Charles Dilke n’a jamais laissé échapper une occasion de rappeler les promesses faites au sujet de l’Egypte et d’en réclamer l’exécution ; malheureusement, sa voix n’a pas été mieux écoutée que tant d’autres qui se sont élevées ailleurs. Il est devenu presque un solitaire dans son pays. Nous nous joignons à lui pour féliciter M. Curzon de s’être aperçu si à propos que la salle était vide et de n’avoir pas voulu parler devant des banquettes. Le prétexte vaut ce qu’il vaut, mais la question reste intacte et cela seul nous touche. Le moment a paru mal choisi au gouvernement anglais pour traiter de l’évacuation. Toutefois, M. Curzon a dit expressément que « si une politique d’abandon n’était pas désirable, une politique d’action l’était moins encore, et que le gouvernement ne voudrait pas, dans une affaire aussi importante, se laisser pousser à une action quelconque soudaine et précipitée. » Comme il n’y avait guère dans la Chambre des communes que M. Curzon lui-même, et peut-être M. Chamberlain, qui, s’ils n’avaient pas été ministres, auraient pu pousser le gouvernement à cette action soudaine et précipitée, nous voilà rassurés sur ce point. Nous sommes d’ailleurs les premiers à reconnaître qu’au lendemain même de la constitution d’un nouveau Cabinet, le moment n’est pas encore tout à fait venu de traiter d’une manière pratique des conditions dans lesquelles l’Egypte pourra être évacuée par l’Angleterre, et de la propre initiative de celle-ci. Le ministère Salisbury a du temps devant lui pour trouver le meilleur moyen de résoudre la question. Il importe seulement que celle-ci ne puisse jamais être considérée comme abandonnée, alors