Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

italiens ? Voici le plus célèbre de tous, M. Giuseppe Giacosa, l’auteur d’un drame que Mme Sarah Bernhardt a promené, il y a quelques années, à travers l’Amérique. M. Giacosa a accompagné dans cette tournée l’illustre tragédienne ; et sans doute il a gardé de son voyage un souvenir très vif, car lorsque M. Ojetti lui demande son avis sur l’avenir de la littérature italienne : « Je me rappelle, lui répond-il, un discours prononcé par le président du Lotus Club, dans un banquet qui me fut offert à New-York. Après avoir parlé, en parfaite connaissance, de Fogazzaro et de Verga, l’éminent orateur crut pouvoir affirmer que si ces écrivains et maints autres, au lieu d’être Italiens, avaient été des Français, ou des Anglais, ou des Russes, le monde serait de-depuis longtemps déjà rempli de leurs noms. » M. Giacosa est aussi de ce sentiment ; mais il pense que l’heure est prochaine où la gloire des écrivains italiens pourra enfin se répandre sans entraves à tous les coins de l’univers. « Dès maintenant, dit-il, en France, en Allemagne, en Autriche, en Suède, pas un jour ne se passe sans qu’on représente nos drames sur les plus grands théâtres : hier encore, par exemple, le plus fameux acteur de l’Autriche m’annonçait qu’il allait entreprendra une grande tournée italienne à travers l’Allemagne. Et je puis vous certifier à ce propos que notre influence sur la jeune école allemande est infiniment supérieure à celle des auteurs français. En France même, d’ailleurs, il n’y a pas un romancier qui n’ait subi en quelque manière l’influence de M. d’Annunzio. »

M. Giacosa, comme on le voit, se fait une haute idée de la littérature italienne, dont il se tient, très justement d’ailleurs, pour un des représentans principaux. Voici maintenant un de ses confrères, M. Marco Praga, auteur des Vierges et de l’Héritier. M. Ojetti l’a rencontré à Milan, au café Savini. « Il parle fort peu, et ses amis intimes m’ont dit qu’il n’aimait pas à parler d’art. C’est un grand jeune homme blond, mince, élégant ; avec cela, un cycliste passionné. » Et comme M. Ojetti lui demande quels motifs l’ont poussé à écrire l’Héritier, une pièce du genre classique, tandis qu’il avait passé jusque-là pour un auteur modernissime, le jeune cycliste répond, de la façon la plus modernissime, qu’il a écrit l’Héritier parce qu’il avait besoin de douze mille francs. Il reconnaît d’ailleurs que c’est toujours uniquement pour avoir de quoi vivre qu’il a écrit ses pièces. Et si le roman lui paraît un genre très inférieur au drame, c’est simplement parce qu’il est d’un usage beaucoup plus difficile, et ne produit pas autant d’effet sur le grand public. « Ce qui ne m’empêche pas, ajoute-t-il, d’avoir écrit un roman et d’en avoir un autre en préparation. Mais le plus gros de mes bénéfices me vient de mes drames. Aussi ne manquerai-je point d’en produire un tous les ans, jusqu’au jour où le public ne voudra plus de moi. »

J’ai pris ces passages un peu au hasard, dans l’intéressant volume