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supérieure ; et il n’y a pas jusqu’aux chefs de l’ancienne école réaliste qui ne cherchent maintenant à se justifier d’avoir placé la fin de l’art dans la simple peinture de la réalité. M. Verga déclare que le naturalisme n’est rien qu’une méthode, pouvant être employée à tel objet qu’on voudra. « Rien n’empêche, dit-il, de concevoir un roman mystique ayant une forme naturaliste. » Et M. Capuana va plus loin encore. Il avoue n’avoir plus de curiosité que pour les questions religieuses : « J’étais autrefois un athée, mais je suis devenu un croyant. J’ai reconnu le vide profond de la science, qui ne parvient pas même à satisfaire les besoins de l’esprit. Et la morale sans la religion n’est pas moins vaine que la science. »

Religion, mysticisme, voilà encore des mots qui reviennent sans cesse dans les interviews rapportées par M. Ojetti ; et l’on dirait qu’en même temps que du naturalisme littéraire, les écrivains italiens se sont aussi fatigués du naturalisme philosophique, qui prétendait expliquer l’univers par les seules lois de la science : « La science, dit Mme Matilde Serao, c’est elle qui a tari chez nous toute fantaisie artistique. Mais nous commençons enfin à sentir son insuffisance, et le moment est prochain où nous nous affranchirons de son joug. » C’est, ce que disent encore, en d’autres termes, M. Enrico Panzacchi et M. Antonio Fogazzaro, un des poètes et un des romanciers les plus admirés de l’Italie. D’autres, en vérité, refusent de prendre au sérieux ce mouvement mystique ; mais ceux-là même reconnaissent la nécessité d’un retour à l’idéalisme ; et peut-être la sombre poésie qu’ils admirent dans les ouvrages de M. d’Annunzio est-elle moins éloignée qu’ils ne croient d’un certain idéal de mysticisme sensuel.

Mais ces ouvrages de M. d’Annunzio paraissent avoir eu surtout pour effet de raviver en Italie le goût du style : et c’est à ce point de vue qu’on peut vraiment les considérer comme le « présage » d’une révolution littéraire. Non pas que les auteurs italiens se soient accoutumés du premier coup à la langue nouvelle que leur offrait M. d’Annunzio, si expressive et si ornée, pleine de rythmes hardis et de tournures imprévues. Mais il n’y en a pas un qui ne l’ait discutée, et qui ne se soit en même temps repris de curiosité pour les problèmes du langage et de l’expression. Sous les aspects les plus divers, le culte de la beauté formelle semble vouloir renaître dans la patrie de Pétrarque. Et c’est encore un des mérites du livre de M. Ojetti de nous faire voir l’importance qu’attachent à présent les auteurs italiens à se constituer par tous les moyens une langue poétique définie, capable d’exprimer des pensées et des émotions nouvelles. Les uns veulent simplifier, d’autres compliquer ; mais tous sont d’accord pour reconnaître la nécessité d’avoir un style, et de ramener dans la littérature un élément de beauté.