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intervient dans les choses d’Algérie : la préoccupation d’y revendiquer les droits de la moralité publique.

De fait, l’exposé qu’il a su faire des conditions et des circonstances dans lesquelles ont été obtenues deux au moins des trois concessions de phosphate, actuellement exploitées à Tébessa, ne pouvait manquer de soulever l’indignation du Sénat. Il l’a soulevée tant et si bien que, lorsque le gouverneur général a pris la parole en qualité de commissaire du gouvernement, il a dû bien vite se rendre compte qu’on n’attendait guère autre chose de lui que des explications sur les irrégularités et les complaisances administratives dont le tableau suggestif venait d’être évoqué. C’est la même expérience qu’a dû faire le ministre de l’Intérieur qui lui a succédé à la tribune. Vainement ont-ils essayé, l’un et l’autre, d’amener le Sénat à admettre que, dans la question des phosphates de Tébessa, il y avait autre chose que des responsabilités à dégager et à poursuivre. Profondément impressionné par les faits que l’interpellateur venait de dénoncer à sa tribune, le Sénat, pour l’instant, n’entendait y voir que cela. Aussi, après le gouverneur général et comme lui, le ministre de l’Intérieur a-t-il été contraint de céder au courant d’indignation qui entraînait le Sénat tout entier. Il a dû promettre une enquête sur les faits dénoncés à la tribune ; il a dû s’engager à ne point hésiter devant les solutions qui lui paraîtraient imposées par les résultats de cette enquête. Or, ce sont là des conclusions que ne faisait guère pressentir le début de son discours et qui, manifestement, lui ont été dictées par l’attitude de l’assemblée qui l’écoutait.

Voilà donc, de par la volonté du Sénat, la question des phosphates de Tébessa entrée dans une phase panamiste. Je ne sais si l’enquête promise par le gouvernement permettra de relever et d’établir des fraudes assez caractérisées pour entraîner l’annulation des concessions attaquées. Il est peut-être permis d’en douter[1]. Les enquêtes de ce genre n’aboutissent guère qu’à d’inutiles scandales ; et pour quelques coupables qu’elles atteignent, combien en laissent-elles échapper !

Quand, au contraire, laissant de côté la moralité des concessions, on se préoccupe uniquement de leur légalité même, il est permis d’envisager des résultats plus précis et plus certains.

  1. Une première enquête, ordonnée par le gouverneur général, n’a donné aucun résultat. Faut-il s’en étonner puisqu’il s’agissait surtout, pour les enquêteurs, d’apprécier et de dégager les motifs qui avaient dicté la conduite administrative de tel ou tel fonctionnaire ? A moins de circonstances spéciales et déterminantes, on ne peut guère supposer une question de ce genre résolue avec une certitude dictant des conclusions précises. En l’espèce, tout ce qu’ont pu dire les enquêteurs désignés par le gouverneur général, c’est que rien ne leur permettait de nier, pas plus que d’affirmer, les responsabilités mises en cause.