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confié à la terre. Le laboureur arabe ignore tout autre procédé de culture. Depuis des siècles, le champ que je contemplais ne devait connaître ni labours, ni engrais, ni fumures. Pourtant, les promesses de sa récolte me semblaient comparables à celles des plus riches cultures que mon souvenir pût évoquer.

Il fallait donc qu’il eût dans son sein la source d’une inépuisable fécondité, ce sol qui prodiguait ainsi, de lui-même, ce qu’on ne peut ailleurs obtenir qu’au prix des patiens et coûteux efforts de la culture intensive. Le problème pouvait tenter un esprit observateur. Le vague de mes connaissances géologiques ne pouvait me permettre de l’envisager qu’avec l’étonnement qu’on éprouve en face de l’inexpliqué. Évidemment, ce n’est pas à mes yeux seuls qu’il a dû se présenter avec des allures d’irritant mystère.

Aujourd’hui ce problème n’est plus : le sol algérien a livré son secret. On sait désormais qu’il renferme les plus riches gisemens de phosphate de chaux qui soient connus dans le monde entier. De l’est à l’ouest, et à un niveau géologique bien déterminé, l’Algérie entière, après la Tunisie du reste, se trouve traversée par une large bande de terrain de 70 à 80 kilomètres de largeur où, presque partout, le phosphate de chaux se rencontre en couches remarquables par leur teneur et leur étendue. Ce serait là, d’après l’hypothèse la plus vraisemblable, l’ancien rivage d’une mer du début de l’époque tertiaire, la mer de l’époque suessonienne. Sur une immense plage, basse et marécageuse, le lent travail du flux et du reflux aurait trituré et mêlé les ossemens d’innombrables générations de monstres disparus, principalement de sauriens gigantesques, à en juger par la dimension des dents et des vertèbres qu’on a pu retrouver. Peut-être aussi, la mer suessonienne contenait-elle, dissoutes dans ses eaux, de fortes proportions de phosphate de chaux, dont les dépôts successifs auraient encore augmenté la richesse des gisemens qu’on rencontre aujourd’hui sur son ancien rivage. Quoi qu’il en soit, les quantités accumulées sont telles que, pendant des siècles, elles peuvent suffire à assurer la fécondité des cultures de céréales non seulement dans l’Algérie et la France, mais dans le monde entier. Si, comme celles qui l’ont précédée, notre civilisation doit sombrer et disparaître, ce ne sera pas, de longtemps du moins, dans les affres de la faim : l’Algérie tient en réserve de quoi singulièrement éclaircir le sombre avenir que Malthus a fait entrevoir à l’humanité.

Je ne veux pas abuser des chiffres. Il en faut cependant citer quelques-uns, pour donner une idée des richesses que recèle le sol algérien.

Sur un des points de la large bande de terrain que je signalais tout à l’heure, au nord-est de Tebessa et à quelques kilomètres de la frontière tunisienne, on a commencé l’exploitation de différens gîtes de