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LA QUESTION
DES PHOSPHATES ALGERIENS


I

C’était au cours d’une de mes excursions dans la région des hauts plateaux de l’Algérie. Nous marchions, depuis le matin, dans ces vastes territoires de parcours qui s’étendent entre Teniet-el-Hâad et Boghari. Bien que nous ne fussions encore qu’en mai, les rayons verticaux d’un soleil implacable nous mettaient aux épaules de cuisantes sensations de brûlure. Autour de nous, un pays d’apparence aride et désolée, dont la monotonie avait vite lassé mon attention. Les yeux mi-fermés, je m’abandonnais au pas de ma monture, ne gardant plus la perception très nette des choses qui m’entouraient, et ce fut, à un moment donné, comme dans un rêve que je vis onduler de luxuriantes moissons. Je ne crus d’abord qu’à une obsédante hallucination des vibrations de l’air en feu qui m’enveloppait. Il fallut bien me rendre à l’évidence. Le cadre d’aridité et de désolation était resté le même. Mais, dans une légère dépression du sol, c’était bien un vaste champ de blé, dont les jaunes épis se dressaient innombrables, avec le bruissement familier des moissons mûrissantes. Ils surgissaient, évoqués, semblait-il, par quelque puissant magicien, tant s’affirmait le contraste de leur vigueur avec l’apparence inféconde du sol qui les avait nourris.

Certes, ce ne pouvait être par les savans procédés de la culture intensive qu’il fallait songer à expliquer ce contraste. Les fellah, dont la misérable mechta s’apercevait au loin, devaient être étrangers aux pratiques les plus élémentaires comme à la notion même de cette culture. A l’exemple de leurs aïeux, ils avaient dû se borner au superficiel grattage du soc de bois d’une charrue primitive, et, sans plus d’efforts et de soucis, s’en remettre à Allah, pour leur rendre au centuple le grain