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occupait dans la hiérarchie ecclésiastique et sociale. Sous peine de courir à une ruine certaine, il était contraint d’observer quelque circonspection. Nombre de Romains croyaient même que la réalisation du projet grandiose de San Gallo était au-dessus des forces d’un particulier et la tradition veut qu’on ait trouvé un beau matin appendu à la statue de Pasquin un tronc avec une pancarte portant ces mots : Elemosina per la fabbrica di Farnese, ce qu’on pourrait traduire ainsi : Pour le palais Farnèse, s’il vous plaît !

Mais ces raisons s’effacent devant le fait capital de la prise de Rome par l’armée du connétable de Bourbon en 1527. Date lugubre entre toutes, qui marque une des plus tragiques catastrophes des temps modernes ! Pendant de longs mois, la ville fut à la merci des Allemands luthériens et des espagnols qui, quoique catholiques, se montrèrent encore plus avides et plus féroces. Les richesses artistiques entassées depuis des siècles dans la capitale du monde chrétien disparurent en quelques jours, et les habitans, soumis à des tortures inouïes, énumérées avec de cruels détails dans le récit des témoins oculaires, durent livrer jusqu’à leur dernier écu. Les Romains sortirent de cette épreuve épouvantés. Plus tard, en dépouillant, le manteau impérial pour revêtir l’humble froc des religieux de Saint-Juste, Charles-Quint jugea sans doute qu’une expiation extraordinaire pouvait seule le relever du crime d’avoir abandonné Rome à la fureur d’une soldatesque que nul frein ne retenait.

Enfermé avec Clément VII dans le château Saint-Ange, dont Benvenuto Cellini s’est vanté d’avoir dirigé l’artillerie, Farnèse suivit sans doute du haut des plates-formes le progrès des Impériaux et les détails du sac. Quand le brouillard du matin se déchira, les assaillans étaient déjà maîtres du Borgo. Ils envahirent le Transtévère sans rencontrer de résistance et, trouvant libre le ponte Sisto, ils se répandirent dans la ville, massacrant tout sur leur passage. Le cardinal vit le torrent dévastateur rouler sous les murs de son propre palais et il aurait pu dire comme le romancero espagnol :


Entre el Burgo y ponte Sisto
Seis mil hombres vi sin vida,
Plaça de Campo de Flor
De muertos estava llena.


Rien ne l’aurait empêché d’assister au pillage de son palais si celui-ci avait subi le sort commun. Mais il arriva qu’à peu près seule des maisons de la ville, la demeure des Farnèse fut épargnée. Le fils du cardinal, Pier-Luigi, alors âgé de vingt-quatre ans,