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l’enveloppaient déjà, et son dernier fils dont la vivacité enfantine le divertissait. Peut-être trouva-t-il aussi une certaine douceur dans la fidélité et le dévouement de quelques amis. Pour moi, lorsque j’ai appris, par les termes de son testament, qu’il avait « toujours ressenti pour moi une affection particulière », je me suis senti récompensé du peu que j’ai essayé de l’aire pour lui.

Au commencement de juin de l’année dernière, M. le Comte de Paris revint d’Espagne dans un état lamentable. Il n’était plus qu’un cadavre soutenu par la volonté, mais il n’avait rien perdu de sa force d’âme et de son application aux choses. Je passai plusieurs jours avec lui à Stowe. Parfois, pendant la promenade d’une heure qu’il faisait à pied chaque jour (il ne pouvait plus supporter la voiture), ses souffrances devenaient telles qu’on le voyait pâlir ; son front se couvrait de gouttes de sueur, et il était obligé de s’arrêter. Puis, au bout de quelques instans, il se remettait en marche, et reprenait la conversation sur quelque question d’intérêt secondaire au point précis où il l’avait laissée. Lorsque je le quittai, je me demandai si je le reverrais encore. Il languit cependant plusieurs mois, et, durant ce triste été, tous ceux qui lui étaient attachés, à des titres divers, firent le voyage de Stowe. Nos impressions à tous étaient les mêmes, mais il y avait entre nous comme une convention tacite de ne les point échanger. J’étais même étonné que le secret sur l’état du prince pût être si bien gardé, car ce fut bien peu de temps avant sa mort que le bruit commença de se répandre qu’il était perdu. Mais nous savions tous qu’il continuait de lire lui-même les journaux avec le plus grand soin, et chacun avait à cœur de s’abstenir d’une indiscrétion qui aurait pu lui passer sous les yeux.

M. le Comte de Paris nous venait lui-même en aide pour entretenir cette illusion, car, jusqu’au bout, il continua de s’appliquer avec la même assiduité, je pourrais dire avec le même acharnement à sa besogne quotidienne, sa correspondance demeurait aussi active que par le passé, et pas un détail n’était négligé par lui. Au commencement d’août, à la suite de certains incidens locaux, le président du comité d’un département important avait cru devoir donner sa démission. J’écrivis à M. le Comte de Paris pour l’en informer, en lui disant que seul il pouvait obtenir le retrait de cette démission, et que précisément la personne dont il s’agissait était en Angleterre, Je n’en disais pas davantage. Immédiatement, le prince lui écrivit pour le mander à Stowe, et quelques jours après, cet excellent homme me racontait, les larmes aux yeux, sa conversation : « J’ai trouvé, me disait-il, le prince au