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statisticien allemand à 216 francs par an, représentant 0 fr. 70 par jour de travail. Moyennant ce sacrifice, qui, avec les salaires actuels d’un grand nombre d’industries, n’est pas au-dessus des forces du travailleur, celui-ci se garantirait : 1° une rente annuelle de 433 francs pour ses vieux jours ; 2° un secours de 150 francs par an en cas d’infirmités ; 3° une allocation temporaire de 12 francs par semaine en cas de maladie ou de chômage ; 4° en cas de mort prématurée une rente de 500 francs destinée à nourrir et à élever ses enfans jusqu’à l’âge de 16 ans. Ces chiffres ne sont ici donnés que comme type d’un ensemble de primes, susceptibles de varier à l’infini suivant les besoins et les facultés de chacun.

Jusqu’à présent l’ouvrier, le paysan français, ne sont pas assurés. L’esprit de prévoyance ne se manifeste chez eux que sous l’aspect de versemens à la caisse’ d’épargne. Les titulaires des 8 millions de livrets, entre lesquels se répartissent les 3 milliards 800 millions de francs confiés à ces caisses se recrutent pour la plupart dans les rangs du prolétariat. Chacun d’eux posséderait ainsi en moyenne un capital de 480 francs. On peut aussi considérer comme appartenant à la classe populaire les 180 000 personnes qui reçoivent, de la « Caisse nationale de retraites pour la vieillesse », des arrérages de 32 700 000 francs, soit pour chacune une rente moyenne de 182 francs. Quant à la « Caisse nationale d’assurances », ses opérations sont tout à fait insignifiantes. Bien qu’elle fonctionne depuis vingt-sept ans, elle n’a pas, à l’heure actuelle, pour 3 millions de capitaux souscrits ; et c’est au plus si elle recouvre annuellement pour 60 000 francs de primes.

Mais si nous pouvons nous enorgueillir de ces économies individuelles qui, suintant goutte à goutte de la poche des petits salariés, alimentent l’imposant fleuve d’or que nos caisses d’épargne, où il se jette, peuvent à peine contenir ; si la propriété mobilière et foncière, — minces lopins du sol et titres de rente minuscules, — est plus largement répartie peut-être dans les chambrettes de nos villes et les chaumières de nos champs que dans les logemens similaires des autres pays d’Europe, nous devons reconnaître que, sous le rapport de cette épargne collective qu’est l’assurance sur la vie, nos compatriotes viennent à peu près au dernier rang. Je n’envisage pas seulement le chiffre des capitaux assurés, — qui sont en France de 3 milliards et demi, alors qu’ils atteignent 5 milliards en Allemagne, 16 milliards en Angleterre et 30 milliards aux Etats-Unis, — mais surtout le nombre des polices, pour constater que la formation de la fortune par la mise en commun des risques a peu pénétré dans notre démocratie. Proportionnellement à la population, il y a chez nous