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dix-huit sociétés françaises, montaient à 3 milliards 550 millions, les rentes viagères à plus de 53 millions.

S’il a fallu, comme on voit, presque trois quarts de siècle pour que les générations nouvelles comprissent la portée de cette arithmétique de la mortalité, elle est aujourd’hui solidement assise sur ses bases scientifiques, dont le propre est d’affranchir l’assuré des risques qu’il redoute, pour les transférer à l’assureur, qui les recueille, les pèse, les classe dans ses cartons, où ils deviennent sans danger par leur nombre même, leur division, leur équilibre. Ces bureaux, où griffonnent paisiblement des employés sédentaires, sont un laboratoire de confection et de vente d’un vaccin contre le hasard. Cette expression, angoissée d’espérance ou de crainte, qui si souvent revient sur nos lèvres : « Si le hasard veut… », est-il donc possible qu’elle disparaisse ? Le dieu Hasard, l’ancienne Fortuna, capricieux et rebelle par définition à tout calcul, cessera-t-il d’en faire à sa volonté ? Les hommes du XXe siècle parviendront-ils à le mettre en cage, à le domestiquer comme ces autres forces de la nature, indomptées naguère, que les hommes du XIXe siècle ont su réduire en esclavage ? Toujours est-il que l’assurance sur la vie a su quelque peu l’apprivoiser, surprendre quelques-uns de ses secrets, et, l’opposant à lui-même, de cinquante mille hasards contraires tirer un millier de certitudes.

C’est là toute l’économie des combinaisons presque innombrables qui garantissent à celui-ci un héritage pour les siens, à celui-là une fortune pour lui-même, ou une dot pour ses enfans, ou un gage pour ses créanciers ; les sommes ou les revenus devant être payés, suivant le gré de chacun, aux uns en cas de vie, aux autres en cas de mort, à moins qu’ils ne préfèrent stipuler une échéance fixe, qu’ils soient morts ou vivans. Toutes les suppositions sont possibles, tous les types d’arrangemens sont acceptables, tellement la machine à assurer se prête, docile et comme flexible, à tous les mouvemens que l’on exige d’elle. Les deux branches auxquelles se rattachent les divers contrats, — assurances en cas de vie ou en cas de décès, — ont ceci de commun que le dernier soupir des intéressés amène toujours la liquidation de leur engagement et met fin au paiement de leurs cotisations ; ce qu’on exprime par cette formule : « En assurance sur la vie, la mort libère. »

L’assurance en cas de décès, dite de « vie entière », la plus connue, la plus féconde, a pour objet la constitution immédiate du patrimoine de la famille. Elle s’adresse à la classe immense des maris et des pères qui vivent plus ou moins largement, au