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mais je vois on lui une force électorale dont, surtout au scrutin de liste, les monarchistes ont parfaitement le droit de se servir pour triompher de la pression gouvernementale et arriver en majorité à la Chambre ; quand ils y seront, ils feront du général Boulanger ce qu’ils voudront. S’il est ce que vous dites, il ne sera que plus facile à eux de se passer de lui. » Et, comme je lui objectais qu’au milieu de toute cette agitation l’idée monarchique s’oblitérait, il me répliqua : « Mais c’est aux monarchistes à la faire vivre, par la propagande, par la presse, par les conférences. Vous qui avez le goût de la parole, vous devriez faire un discours quelque part où vous diriez que la monarchie est la conséquence nécessaire de tout ceci. Ne parlez pas du général Boulanger d’une façon blessante, c’est tout ce que je vous demande. » Je ne me le fis pas répéter, et, quelques mois après, je prononçais à Lyon (c’était en décembre 1888) un discours où, après avoir parlé du général Boulanger, sans bienveillance mais sans injures, ce qui me paraissait inutile, je fus assez heureux pour faire applaudir par trois mille personnes ces paroles significatives : « Royalistes, nous ne travaillerons jamais que pour le Roi. Tout ce qui ne nous conduirait pas à la monarchie n’aura jamais notre concours. Tout ce qui prétendrait nous en éloigner nous trouvera résolument sur son passage. » Quelques jours après, je reçus une lettre du prince, que je ne publie pas parce qu’elle était trop obligeante pour moi, mais qui me montrait que j’avais parfaitement traduit sa pensée.

Cependant les chances du général Boulanger semblaient grandir chaque jour, et son élection foudroyante à Paris le portait, pour un temps bien court, au pinacle. Les élections approchaient ; chacun commençait à penser à soi-même, et à se préoccuper de l’altitude qu’il aurait à prendre. Le bruit se répandait de plus en plus qu’un arrangement était conclu entre le général Boulanger et les monarchistes ; que ceux-ci le feraient arriver au pouvoir sous une forme ou sous une autre, et qu’au bout d’un temps plus ou moins long il serait le Monk d’une restauration nouvelle. Je ne croyais pas au succès de la campagne, et j’étais décidé en tout cas à n’y pas prêter les mains. Mais, comme j’avais l’intention de me présenter aux élections, je voulus avoir à ce sujet avec M. le Comte de Paris une explication décisive : car, à supposer que je fusse nommé, je ne voulais pas avoir à me mettre en travers de ce plan, si vraiment il était agréé, et me trouver dans cette situation singulière de me ranger du côté de M. Carnot contre M. le Comte de Paris. Je lui dis donc un jour, et avec une certaine vivacité : « Monseigneur, à tort ou à raison, je suis parfaitement résolu, si je suis nommé député, à ne pas contribuer à faire