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loyale ; elle n’a rien caché à Aubrey de son passé. Mieux encore, elle a passé cette dernière journée à écrire sa confession générale, avec une minutie et un scrupule où il entre un peu d’enfantillage, un peu de cynisme, et aussi, je pense, quelque héroïsme. Elle soupèse la lettre en souriant. Il y en a lourd ! « Je me demande si la poste prendrait cela pour un penny ! » Elle lui dit sans phrase, sans pose, sans tragédie : « Lisez ma lettre, réfléchissez : si demain, à la dernière heure, vous avez changé d’idée, envoyez-moi un mot avant onze heures, et je… je recevrai le coup. » Aubrey jette la lettre au feu, et elle lui saute au cou. Elle lui avoue très franchement qu’elle avait compté là-dessus ; ce qui détruirait absolument son petit effet si elle en avait cherché un.

La question a-t-elle jamais été mieux posée ? Qu’on se rappelle le Mariage d’Olympe : à peine avait-elle dit quatre mots, nous avions reconnu la gueuse insolente et hypocrite. Nous savions qu’elle ne s’acclimaterait jamais dans cette famille de braves gens où le hasard l’avait jetée. Dès lors, où était le problème ? Tout le merveilleux esprit d’Augier suffisait à peine à nous faire attendre pendant deux heures le châtiment de la misérable. Paula est sincère ; elle a de l’esprit et du cœur ; elle vaut les femmes du monde où elle va essayer de prendre sa place. A défaut d’une grande passion, elle éprouve une reconnaissante tendresse pour le galant homme qui veut la réhabiliter ; elle est parfaitement décidée à lui être fidèle et à le rendre heureux. Nous souhaitons ardemment qu’elle réussisse : pourquoi ne réussirait-elle pas ?

Le second acte nous l’apprend. C’est d’abord que, une fois mariée, Paula s’ennuie. L’usage ne lui permet point de faire les premiers pas et le monde ne vient pas à elle. Elle est comme prisonnière dans sa belle maison de campagne du Surrey. La douce monotonie du home l’obsède au sortir de cette vie fiévreuse, dévorante, qu’elle a menée : le repos la fatigue et la tue. Voici sa journée heure par heure : « Le matin, sortie en voiture jusqu’au village, avec le groom, pour donner des ordres aux fournisseurs… Au lunch, vous et Ellean. Dans l’après-midi, lecture : un roman et les journaux. S’il fait beau, seconde sortie en voiture, — mais seulement s’il fait beau ! Le thé : vous et Ellean ! Puis, deux heures de chien et loup. Puis le dîner : vous et Ellean. Alors une partie de bésigue : vous et moi, pendant qu’Ellean lit un livre de piété dans son coin. Je bâille, vous bâillez, Ellean soupire. Trois êtres humains se lèvent : « Bonne nuit ! Bonne nuit ! Bonne nuit ! » (Elle imite le bruit d’un baiser.) Dieu vous bénisse !… Oh ! »

Avec l’ami Cayley, elle s’épanche encore plus librement :