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homme du monde qui épouse une petite fermière élevée à la campagne. Dans la réalité, si pareille chose arrivait, il y aurait de grandes chances pour que la nouvelle mariée, prise de vertige, dépassai en frivolité celles qui sont nées dans le monde et qui y ont vécu. Mais cette morale-là serait trop simple et trop vraie pour le théâtre. Ou bien encore cette demi-paysanne se montrerait aussi inférieure au milieu social où elle a été transplantée par la vulgarité de ses sentimens que par (celle de ses manières. Ce n’est pas le monde qui la repousserait, c’est elle qui n’y pourrait s’acclimater : de là, pour son mari, la nécessité de la renier ou de se déclasser avec elle. Cette conclusion ne serait pas non plus au goût du parterre : c’est pourquoi M. Grundy a mieux aimé dépenser tout son savoir-faire, qui est très réel, à nous faire accepter, après une alternative de réalisme et d’idéalisme, une solution aussi agréable qu’illogique et essentiellement théâtrale. Au second acte, Margery accumule les « gaffes » ; tout le monde se moque d’elle et son mari la déclare « incurable ». Au troisième acte, elle est admirable d’éloquence et de dignité, de tact et de vertu ; tous ceux qui se sont moqués d’elle tombent à ses genoux. Se peut-il qu’elle ait appris tout cela durant l’entr’acte, pendant que l’orchestre jouait une valse ? Elle se réfugie chez son père, qui patoise un peu, juste assez pour être touchant. Elle trait les vaches et cueille des cerises, seules occupations que le théâtre permette à une jolie fermière. Le jeune mari vient la chercher dans cette retraite et obtient son pardon. Elle ne sera jamais une « dame », mais elle sera, par excellence, une « femme ». Le public m’a paru enchanté de cette conclusion. Une réunion de deux mille snobs ne marchandera jamais ses applaudissemens à un auteur dramatique qui flétrit le snobisme.

Un vieux Juif est une pièce curieuse et fascinante ; il me sera facile d’en indiquer les défauts, très difficile d’en expliquer le charme. Un homme trompé par sa femme, au lieu de la démasquer, de la punir, de la chasser du foyer conjugal, se condamne lui-même à l’exil et se laisse à la fois soupçonner de dureté et de trahison. Pourquoi ? Parce que le père peut se passer de ses enfans, la mère ne le peut pas. Restée seule, elle tomberait dans le désespoir ou dans l’infamie ; ses enfans seront sa sauvegarde, sa rédemption, sa vertu. Cette conduite de Julius Stern est magnanime ; mais s’il lui plaît de s’oublier lui-même, ne devait-il pas, au lieu de songer à la coupable, se préoccuper, avant tout, des innocens ? N’a-t-il pas risqué gros en confiant à la femme adultère l’éducation d’une vierge ? La dangereuse expérience a réussi, et si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai que c’est parce que M. Sydney Grundy l’a voulu ainsi. Julius ne s’est trompé