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paix, d’amitié et de soumission. Bien au contraire, voici la lettre de leur souveraine qu’ils apportaient au gouverneur pour être transmise au roi des Français : « Sire, je profite de cette occasion pour vous écrire que je ne permets pas à mes sujets de vendre du riz aux vôtres, sinon en échange de fusils et de poudre. Mais je n’entends maintenir cette loi que jusqu’au moment où j’aurai en fusils et en poudre la quantité qui me conviendra… » Cette lettre était écrite en anglais, et revêtue d’un sceau de cire rouge portant une couronne, et ces mots en exergue : « Ranavalo Manjaka. » Céder à la crainte des Anglais avant même d’avoir reçu aucune menace de leur part était certes humiliant. Mais que dire de cette attitude devant les Hovas ? Qu’on était loin des fières réponses des ministres et des agens de la Restauration ; et combien étaient tombées dans l’oubli ces instructions du prince de Polignac à l’ambassadeur de France à Londres au sujet de Madagascar : « Si le ministre anglais, cédant à l’impulsion d’agens qui n’ont pas su se dégager encore des voies d’une politique ombrageuse et hostile à l’égard de la France, voulait, comme eux, s’ingérer dans les suites d’une entreprise où l’Angleterre n’a aucun droit d’intervenir, vous combattriez avec fermeté les prétentions de cette nature, et vous ne dissimuleriez pas qu’elles seront invariablement repoussées par le gouvernement du roi[1]. »

Combien était naturel ce mélancolique regret de l’ancien ministre de la Restauration, promoteur et organisateur de l’expédition de Madagascar, Hyde de Neuville, qui en 1831, menacé par les Chambres d’observations malveillantes au sujet de cette expédition, écrivait au directeur des Colonies en lui renvoyant les pièces officielles à l’aide desquelles il comptait se défendre : « Je vous renvoie, monsieur, les rapports et les autres documens. Avec vous je voudrais que ces pièces fussent demandées par les Chambres. Si on y revient, rien ne nous sera plus facile que de justifier une mesure qu’on aurait dû poursuivre. L’Angleterre doit trouver que nous sommes aujourd’hui bien complaisans. Le ministère légal n’était pas si poli[2] ! »


CH. GAILLY DE TAURINES.

  1. Dépêche du prince de Polignac au duc de Laval, 2 mars 1830 (Archives coloniales).
  2. Archives coloniales, — Cartons Madagascar, 1831.