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dans la soirée et en peu de temps ce qui restait. En effet, après le souper de l’équipage, on descendit 150 hommes, dont 25 armés étaient en vedette à l’ancien poste avancé qui avait été incendié la veille ainsi que le village des naturels. Le reste fut distribué aux quatre coins du fort, à l’hôpital, à la demeure du commandant, à la poudrière, dans les magasins, les casernes, aux chantiers de constructions, etc. Là, chaque chef ayant avec lui un nombre déterminé de soldats, fit mettre le feu à l’endroit où il avait servi avec zèle et fidélité pendant deux ans… Au signal donné, qui était un coup de canon tiré au milieu du fort, on vit les flammes s’élever de toutes parts et dévorer tout sur leur passage. Le feu dura toute la nuit, et les Hovas purent, du haut de leurs montagnes, contempler à loisir cette belle horreur[1]. »

L’année suivante, ces sauvages qui nous avaient bafoués et devant lesquels nous reculions d’une façon si honteuse, envoyèrent en grande pompe à Bourbon une ambassade dont les membres, costumés en « colonels anglais », reçurent du gouverneur un accueil qui dut les étonner, malgré la bonne opinion qu’ils pouvaient avoir d’eux-mêmes :

Peu de jours après mon installation dans le gouvernement de Bourbon, écrivait le gouverneur au ministre, j’ai reçu cinq officiers hovas qui sont venus de la part de la reine Ranavalo me remettre les trois lettres ci-jointes. Ces officiers, du rang de colonels dans l’armée d’Emirne, sont arrivés le 16 novembre dernier sur le brick anglais Caledonia. J’ai cru utile à l’intérêt de notre commerce à Madagascar de recevoir ces étrangers avec quelque distinction… Ces cinq officiers hovas, portant le brillant uniforme d’officiers supérieurs anglais, furent reçus sur le quai au moment de leur débarquement par un détachement d’infanterie commandé par un sous-lieutenant et par le capitaine de port, qui les escortèrent à mon hôtel, où je leur donnai immédiatement audience… L’administration avait fait préparer dans un des hôtels les mieux tenus de la ville des appartenions élégamment décorés pour les recevoir. Ils y furent conduits à la sortie de mon audience et il fut pourvu d’une façon convenable à leur entretien… D’après les ordres que j’avais donnés, l’administration a cherché pendant leur court séjour ici à faire apprécier à ces étrangers tous les produits de nos manufactures… J’ai donné en présent au chef de cette mission un fusil à deux coups renfermé dans une boîte en acajou et deux aunes de drap écarlate très fin, et deux aunes du même drap à chacun des autres commissaires… Ces Hovas m’ont témoigné leur vive reconnaissance de la belle réception qui leur a été faite à Bourbon et qui a paru d’autant plus les toucher qu’ils n’avaient pas été traités avec la même distinction à Maurice[2].

On pourrait croire que des ambassadeurs, reçus avec autant de déférence, devaient au moins être porteurs de propositions de

  1. Ackermann, chirurgien-major dans l’expédition, Histoire des révolutions de Madagascar.
  2. Dépêche du 2 décembre 1832 (Archives coloniales).