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Cet état de détresse était augmenté encore par la présence des malheureux habitans de la côte qui, ainsi que nous l’avons dit plus haut, étaient venus en masse chercher, sous la protection du canon de notre fort, un asile contre la cruauté de leurs persécuteurs hovas. Au lieu d’être un secours, leur multitude en faisait un embarras et une cause d’affaiblissement pour la petite colonie française.

« Ces réfugiés, au nombre de plusieurs milliers, établirent plusieurs camps sur le pourtour de la baie, en face de la presqu’île où se trouvait le fort ; mais restés sous l’influence de la peur des Hovas, même sous la volée de nos canons, ils n’osèrent se répandre au loin pour cultiver ce qui était nécessaire à leur subsistance. Les bois taillis des environs furent simplement défrichés. Toutefois, on était arrivé au mois de janvier, et tout allait bien encore parce que les provisions duraient toujours ; les danses et les chants accoutumés avaient même lieu le soir sous les misérables huttes qui les abritaient, et le tour de la baie continuait à offrir un aspect joyeux et animé, lorsque le cri : « Les Hovas marchent sur Tintingue ! » parti du sein des forêts, jeta l’épouvante parmi ces malheureux réfugiés. Dans cet instant d’alarme, cette malheureuse population effrayée, abandonnant vieillards et enfans dans les bois, où ils périrent, se rua sur la presqu’île pour se réfugier entre le fort et un poste avancé placé sur l’isthme. »

Cette alerte eut lieu le 9 janvier ; la garnison, minée par la fièvre, se traîna sur les remparts : « Nous nous rappelons, raconte le lieutenant de Larevenchère, nos soldats se traînant à nos bastions pour défendre plutôt l’honneur du drapeau qu’un reste de vie dont ils étaient fatigués. On eût cru voir des spectres sortant de leur tombeau et reprenant les armes pour venger leur mort, tellement le climat et les privations avaient exercé de ravages parmi nous. »

« Dans ce cruel moment, nous vîmes toute l’horreur de notre position. Si nous avions été sérieusement attaqués, il nous eût impossible de résister et pas un de nous n’eût échappé à la cruauté des Hovas. M. le capitaine Gailly, quoique mourant, se fit transporter au pied d’un bastion et ne voulut pas en bouger jusqu’à ce qu’une reconnaissance qui avait été envoyée à la découverte fût de retour, apportant l’heureuse nouvelle que les Malgaches qui croyaient voir les Hovas partout, tant ils en avaient peur, nous avaient donné une fausse alerte. .

« Le capitaine Gailly semblait ce jour-là être venu marquer la place qu’il devait occuper au pied de ce bastion : quatre jours après, le 13 janvier, nous eûmes le malheur de le perdre. Il fut enferré dans ce même bastion au bruit de toute l’artillerie[1]. »

  1. Journal de l’Armée, année 1834. Souvenirs du lieutenant de Larevenchère.