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entourant le port qui semble être un lac au milieu d’un immense jardin. Au nord surtout l’aspect est ravissant : les montagnes apparaissent les unes derrière les autres en décrivant un amphithéâtre, et au loin l’horizon se termine par les monts Vigagora qui élèvent fièrement leurs têtes majestueuses et dominent tout le pays[1]. »

Le pourtour de la rade, au moment où le commandant Gourbeyre en ordonna l’exploration, était entièrement désert. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Des villages florissans y avaient existé, et le commandant de Mackau, chargé en 1816 de reconnaître la côte, les avait alors visités et avait entretenu de bonnes relations avec les habitans. Depuis lors, le fer des Hovas était passé par là, ces conquérans sauvages avaient transformé en désert toute cette région autrefois peuplée, et la brousse, poussant sur les ruines des villages détruits, en avait fait disparaître tout vestige. « Un silence de mort, dit encore un témoin oculaire, régnait à plusieurs lieues de distance au nord et au sud et avait succédé à l’agitation que nos explorateurs y avaient remarquée dix ans auparavant, lorsque, en présence des naturels de la contrée assemblés, ils y avaient arboré le pavillon français. A peine si quelques Hovas y passaient par intervalle en communiquant de leur poste de Fénérife avec celui de Manahar. Malheur à celui qui aurait été surpris par eux errant dans ces solitudes, la cruauté avec laquelle ils traitèrent un Français nommé Pinçon, que la tempête y avait fortuitement jeté et qu’ils eurent l’audace de vendre comme esclave, prouve qu’on n’avait pas de ménagemens à en espérer[2]. »

Après un examen sommaire des lieux, la commission d’exploration nommée par le commandant Gourbeyre reconnut que l’emplacement le plus favorable à l’établissement d’un fort était cette pointe sablonneuse, de 3 à 4 kilomètres de long sur 1 de large, qui semblait se présenter d’elle-même comme la défense naturelle de la rade, comme la sentinelle avancée qui devait en protéger les abords. Une objection grave au principe même de l’occupation de Tintingue se présentait toutefois à l’esprit de tous les membres de la commission : des marais, dangereux sans doute sous ce climat tropical, couvraient tout le pourtour de la baie. Le médecin en chef de la division, membre de la commission d’exploration, consulté à ce sujet, crut pouvoir affirmer qu’il était possible de passer outre à ces objections et que quelques précautions élémentaires, quelques travaux des plus faciles, suffiraient pour conjurer tout danger. Il disait dans son rapport :

  1. Revue de l’Orient, année 1840. — Article de M. Jourdain, capitaine de frégate.
  2. Carayon, Etablissemens français à Madagascar pendant la Restauration.