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pauvre domaine en lambeaux, c’était bien ce pays si vaste, si inexploré, dont les richesses encore inconnues s’offraient à notre activité et à nos recherches. Par un hasard inexplicable. l’Angleterre, dans les traités de 1815, par lesquels elle s’était efforcée d’étrangler et d’éteindre jusqu’au dernier souffle la puissance coloniale française, avait oublié de nous priver des droits que nous donnaient sur cette grande île les établissemens que nous y avions créés sous Louis XIV et sous Louis XV, et par l’article 8 du traité de Paris, elle ne s’était fait céder par nous dans ces parages que l’île de France avec ses dépendances. Les Anglais se repentirent sans doute de cet oubli lorsqu’ils virent le gouvernement de la Restauration, désirant renouer la tradition coloniale de l’ancien régime, jeter les yeux sur Madagascar ; mais la lettre du traité était là, il était trop tard pour opposera nos desseins des objections officielles.

Toutefois, si le gouvernement anglais était lié, les Anglais demeuraient libres de nous créer, à titre individuel, toutes les difficultés que pouvait leur suggérer leur énergique persévérance. C’est ce qui arriva : le gouverneur de l’île de France — que ses nouveaux possesseurs venaient de baptiser île Maurice, — sir Robert Farquhar, désireux d’augmenter l’importance de la colonie qu’il avait à administrer, et audacieux autant qu’habile, s’empressa, à peine installé dans son gouvernement, de déclarer que l’île de Madagascar devait être comprise dans les possessions cédées par la France à l’Angleterre sous la dénomination de dépendances de l’île de France. Puis, aussitôt, île sa propre initiative, et sans attendre d’ordres, à l’anglaise en un mot, il prit sur lui de mettre en pratique sa doctrine, et lit occuper divers points de la côte malgache. Une pareille façon d’interpréter les termes d’un traité, quelque bonne opinion qu’elle fît concevoir de l’ingéniosité et de l’audace du fonctionnaire qui l’avait conçue, ne pouvait passer sans protestation de la part du gouvernement français. A la suite des justes représentations de notre ambassadeur, les ministres anglais se virent forcés de désavouer leur habile agent et de reconnaître que, contrairement à ses prétentions, une île de 600 000 kilomètres carrés et plus grande que la France ne pouvait être considérée comme dépendance d’une île guère plus grande que Jersey. Sir Robert Farquhar reçut en conséquence, le 18 octobre 1816, l’ordre d’avoir à remettre immédiatement à l’administration française de l’île Bourbon les anciens établissemens français à Madagascar.

Libre désormais dans son action, le gouvernement français ordonna une exploration des côtes de l’île pour déterminer quels points en pouvaient être avantageusement occupés. Le baron de