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plis du drapeau français et du drapeau russe. Tout est bien qui finit bien. Il ne faut pourtant pas croire que la grève de Champagnac ait présenté d’un bout à l’autre le caractère d’une idylle. Si l’ordre n’a pas été troublé, et si une trentaine d’ouvriers ont pu, du premier au dernier jour, rester au travail et trouver une protection efficace contre de terribles menaces, c’est parce que M. le préfet du Cantal n’a toléré aucune « patrouille », aucun cortège des grévistes. L’attitude de ceux-ci a été d’ailleurs très différente, suivant qu’ils étaient plus ou moins directement soumis aux influences des députés et des journalistes socialistes. Livrés à eux-mêmes, ils étaient toujours prêts à la conciliation, et, au moins à deux reprises, l’accord s’est fait, pour se rompre ensuite, précisément sur les bases qui ont été finalement adoptées. Ici, comme à Carmaux, il s’agissait d’un ouvrier renvoyé, ou plutôt mis à pied pendant vingt-quatre heures. Ses camarades ayant pris fait et cause pour lui, la direction de la mine, qui déjà avait été en butte aux injonctions du syndicat et qui avait eu plus d’une fois le tort d’y céder, a voulu faire un exemple : elle a renvoyé dix ouvriers. Telle a été l’origine du conflit. En fin de compte, la direction a maintenu le renvoi de cinq ouvriers, et, comme quatre d’entre eux s’étaient déjà éliminés eux-mêmes sous divers prétextes, l’exclusion n’a porté réellement que sur un. A partir de ce moment, la grève n’avait plus aucune raison d’être : elle a continué toutefois pendant quelques semaines encore, parce que les députés et les journalistes socialistes qui s’étaient transportés dans le Cantal ne voulaient à aucun prix la laisser finir : ils en vivaient, et même assez joyeusement. Les ouvriers ont fait un jour le compte de ce que leurs « hôtes » leur coûtaient, et ils s’en sont émus. Après avoir acquitté la note de quelques-uns d’entre eux, ils ont dû payer aussi leur retour à Paris ou ailleurs. Ces messieurs, au surplus, ne voyageaient pas, ou ne restaient pas longtemps seuls. Mais nous ne voulons pas écrire aujourd’hui la chronique anecdotique d’une grève, toute piquante qu’elle puisse être. On ne saurait croire à quel point les ouvriers sont quelquefois bernés et exploités par leurs défenseurs ! Il est vrai que Carmaux avait accaparé les premiers sujets ; Champagnac-les-Mines n’a eu que des artistes moindres, mais combien pittoresques ! Lorsque les députés ont été partis et deux des principaux meneurs arrêtés, la paix s’est faite comme par enchantement. On a été tout surpris de ne s’être pas entendu plus tôt. Puisse la grève de Carmaux avoir, sans trop de retard, une conclusion aussi satisfaisante !


FRANCIS CHARMES.



Membre de l’Académie des Sciences morales, professeur à la Faculté des lettres de Paris, directeur honoraire de l’École française