Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

villes qu’il n’aimait pas, une vie de grand air, d’occupation agricole, et un peu d’aventure. Puisqu’il ne pouvait pas aborder à la terre promise, du moins il n’en verrait plus les rivages, et il attendrait au loin le jour où l’accès lui en serait ouvert. La déclaration de guerre et nos malheurs vinrent changer ses projets.

Sa première pensée ne fut encore que pour la France. « Quel coup pour notre patrie, entre le moment où vous m’avez écrit et celui où j’ai reçu votre lettre, disait-il à mon père dans une lettre du 16 août 1870. Je vous remercie d’avoir compris tout ce que je devais souffrir et de me l’avoir dit. Vous devez vous figurer mes sentimens en voyant notre pays envahi, et en me trouvant condamné à n’être que le spectateur éloigné de ce désastre national. Par quel fatal enchaînement de circonstances en sommes-nous arrivés là ? On le sent peut-être aujourd’hui ; mais en ce moment il ne peut y avoir dans tous les cœurs de place que pour les vœux que nous faisons tous pour la France. »

Cependant la révolution du 4 septembre et la disparition de la dynastie impériale soulevaient immédiatement, dans tous les esprits, la question de la rentrée des princes d’Orléans. Dès le lendemain, dans la correspondance de M. le Comte de Paris, cette préoccupation se retrouve intense, aiguë. « Je suis, écrivait-il, prétendant… à tous les droits des citoyens français. » Mais, dans l’exercice de cette prétention si légitime, il allait trouver devant lui un adversaire redoutable autant qu’inopiné : M. Thiers.

Les derniers temps de l’Empire et les premiers temps de la République sont à peine entrés dans l’histoire. Trop de gens encore vivans, ou représentés par des personnes auxquelles des égards sont dus, y ont été mêlés pour qu’il soit loisible à chacun de verser aux débats que ces événemens soulèvent les documens qu’il peut posséder. Cette considération seule m’empêche de publier un très curieux journal, tenu par mon père, depuis le lendemain de la déclaration de la guerre jusqu’au jour de la capitulation de Paris, et complété par le récit de certaines négociations auxquelles il fut mêlé pendant les premiers mois qui suivirent la réunion de l’Assemblée nationale. M. Thiers y est en scène presque à chaque page. On l’y verrait, jouant dans les derniers jours de l’Empire le rôle le plus honorable et le plus patriotique, travaillant avec ardeur à prendre des mesures de défense nationale, de concert avec les serviteurs les plus fidèles d’un régime dont tout le monde pressentait la fin imminente, et faisant parvenir à l’Impératrice elle-même les avis les plus judicieux et les plus désintéressés. Mais on verrait en même temps avec quelle rapidité ses dispositions d’esprit, son langage et ses conseils changeaient