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Autrefois, avant que l’Algérie et le Midi n’envoyassent des pommes de terre sur les marchés de Paris dès le premier printemps, les maraîchers pratiquaient la culture sur couches. Pour obtenir artificiellement la température nécessaire à la croissance des plantes hors saison, on met à profit la chaleur dégagée par la fermentation du fumier de cheval, et c’est à cause de la facilité que leur offre la grande ville de se procurer ce fumier que les maraîchers consentent à payer très cher la location de leurs jardins. Quand le fumier est aéré, les fermentations y acquièrent pendant quelques jours une extrême énergie, et la température s’élève jusqu’à 75 degrés ; puis elle redescend à 25 ou 30 degrés et ne s’abaisse plus ensuite que très lentement. On confectionne les couches avec un mélange de fumier frais et de fumier consommé passé à l’état de terreau ; on recouvre avec des châssis, et on force ainsi le développement des pommes de terre, qui donnent leur produit dès les premiers jours du printemps.

Il n’est aucun endroit du globe où la culture de la pomme de terre de primeur ait plus d’importance qu’à Jersey. « Chaque année, du 1er mai au 15 août, il se fait un trafic considérable d’exportation des tubercules, qui s’élève en chiffres ronds à la somme de 8 millions de francs[1]. À ce chiffre il faut ajouter celui de 1 million représentant la valeur des produits qui restent dans l’île, pour servir soit à la consommation, soit à la plantation des champs pour la récolte de l’année suivante ; de sorte que le produit en argent s’élève à 9 millions de francs et quelquefois davantage. C’est une véritable fortune pour les habitans du pays, indigènes ou étrangers, qui comportent ensemble une population de 60 000 personnes, parmi lesquelles on compte 2703 cultivateurs. »

De 1878 à 1884, la superficie cultivée s’est étendue de 1 740 hectares à 2 350 ; les prix de vente ont été très variables : ils ont passé de 13 fr. 90 les 100 kilos en 1883 à 19 fr. 20 en 1892. Ces prix ne sont pas réglés seulement par l’abondance de la production à Jersey, mais aussi par les arrivages de divers autres pays sur le marché de Londres. Les frais de culture sont très élevés ; ils montent au chiffre tout à fait exagéré de 3 000 francs par hectare : aussi n’y a-t-il de tuméfiées sérieux qu’à deux conditions : quand la récolte est bonne et que les prix de vente restent élevés. Tandis qu’en 1883 le rendement moyen de l’hectare avait été de 4 343 francs, il est tombé à 3420 en 1884 : pendant la première de ces deux années, on avait récolté 234 quintaux à l’hectare, et pendant la seconde 195 seulement. En 1886, la récolte a

  1. Rapport adressé à M. le ministre de l’agriculture par M. Férel, vice-consul de France à Jersey. (Bulletin du ministère de l’Agriculture, 1885 et années suivantes.)