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nomination du respectable Mgr Posilovic au siège d’Agram, à la suite d’une vacance qui défraya, pendant trois ans, la chronique européenne, est indirectement son œuvre.

Ni le fanatisme des Serbes orthodoxes, qui lui ont refusé même une chapelle à Belgrade, ni leur attitude déplorable en Croatie, où ils votent avec le parti magyaron, ne l’ont découragé de poursuivre l’apaisement entre frères de race et de faire ressortir, lui, évoque catholique, la fraternité des croyances. Il entrevoit la solidarité de l’unité jugo-slave et de l’union des deux Eglises. C’est un grand unitaire, un lutteur contre la force centrifuge qui dévore la péninsule des Balkans. On suit à la trace ses desseins et même ses générosités jusqu’en Bulgarie, où il édite à ses frais un recueil de chants nationaux (Narodne bugarske pjesme), œuvre de Constant et de Dimitri Miladinov. Toute sa conduite s’inspire d’une immense charité intellectuelle, du besoin d’attirer à des sources communes une race encore ignorante et émiettée. Prêtre dans l’âme, d’une indicible autorité sous ses habits sacerdotaux, évêque avec les puissans, enjoué avec les humbles, homme de prévision et même de détail, on l’a vu donner une instruction pastorale, — entre tant d’autres qui sont des chefs-d’œuvre d’apologétique chrétienne, — contre les prospectus financiers qui inondent les cures de son diocèse, faisant en cela œuvre d’économiste, que l’épiscopat français aurait grand sujet d’imiter.

On a calomnié Mgr Strossmaier en suspectant son loyalisme. Aristocrate de tempérament, et attaché à la maison régnante autant par la culture historique que par l’atavisme, il n’a jamais cessé d’être retenu, même attiré, par le droit dynastique. La presse hongroise, l’israélite surtout, l’a peint autrement. D’un sujet à la fois respectueux et lier, conscient des droits et de l’avenir de sa race, elle a fait je ne sais quel prélat aigri, un propagateur de désillusion. La littérature magyare est prise trop au sérieux à Vienne. Mgr Strossmaier lui doit une des plus sensibles épreuves de sa vie : la scène de Belovar.

En 1888, à l’occasion du millénaire de Saint Vladimir et des fêtes auxquelles prit part toute la Russie, il fit parvenir un télégramme, non point — comme le crut, sur de faux rapports, l’empereur François-Joseph — à la Société slave de bienfaisance, dont il est membre d’honneur et qu’Ignatieff préside, mais au comité de Kief. La presse germano-hongroise prit feu ; elle prononça les mots de conspiration ouverte et de panslavisme. Quelque temps après, au cours des manœuvres du 13e corps d’armée, l’évêque va saluer l’empereur à Belovar. À ses côtés,