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La Croatie est représentée, à titre spécial, aux Délégations. Mais ses finances, — ainsi que tous les services qui sont censés en dépendre : travaux publics, commerce, agriculture, chemins de fer, postes et télégraphes, voire même armée territoriale, — lui sont déclarées communes avec la Hongrie. Pour défendre la part de son pays dans ces intérêts soi-disant communs, la Diète d’Agram délègue quarante de ses membres au parlement transletlhan. On conçoit que cette représentation joue les rôles muets ou fasse figure de minorité de parade, dans une assemblée dix fois plus nombreuse.

En revanche, la Nagoda accorde libéralement à la Croatie tout ce qui, dans la forme, peut rassurer l’amour-propre national. Dans le cabinet hongrois, un ministre sans portefeuille a charge des « affaires croates ». Il est stipulé, par exemple, que les couleurs des deux nations Hotteront sur le Parlement pendant la discussion des affaires communes ; qu’au cours de ces mêmes discussions, les députés croates pourront s’exprimer dans leur langue. La première de ces règles est inobservée ; la seconde, puérile, car les législateurs de Pesth ne comprennent que l’allemand ou le magyar.

Les questions d’écusson, de sceau, sont minutieusement réglées. Il est entendu que, sur les actes de l’autorité et les bâtimens publics figureront les armes de la Croatie, surmontées de la couronne de Saint-Étienne. Est réputé seul officiel, sur le territoire croate, l’idiome jugo-slave, ce qui n’a point empêché les Hongrois d’introduire leur propre langue dans l’administration des chemins de fer et dans les postes. L’étranger s’aperçoit vite qu’ils se sont arrogé en Croatie, sous ce rapport, un privilège d’exterritorialité.

La Nagoda réserve le statu quo à la ville de Fiume, dont la possession est un sujet de rivalités séculaires entre Slaves et Magyars, et que ceux-ci ont fini par soumettre à un régime de fait, à défaut d’entente possible sur un régime de droit. Une dernière clause consacre, à la charge du gouvernement de Pesth, l’engagement d’aider les Croates à reconstituer, par l’annexion de la Dalmatie, l’ancien royaume tri-unitaire. Promesse insérée, dirait Palma, ad pompam et ostentationem, que les Hongrois n’ont jamais tenue et qu’au fond il ne dépend guère d’eux de tenir.

La Nagoda ne mettait pas sans doute la Croatie hors de chez elle, mais y installait les Magyars. Un pays qui reçoit de l’étranger le chef du pouvoir exécutif et voit son existence économique