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consultait pas. Ni la cour, ni les représentans des nationalités dominantes n’envisageaient le fédéralisme comme la première étape de l’évolution constitutionnelle. Du reste, de Vienne et de Pesth, les Croates recevaient des avances. Deak, qui cherchait alors pour son pays des alliés contre le germanisme, leur tendait son historique page blanche, avec prière d’y inscrire la formule d’un accord politique avec la Hongrie. Le ministère viennois appuyait sur les souvenirs de 1849, faisait valoir son néo-libéralisme, et flattait, en outre, une ambition populaire entre la Save et l’Adriatique : la reconstitution du vieux royaume tri-unitaire aux trois fleurons de Croatie, Slavonie, Dalmatie.

Ces sollicitations en partie double ne profilent qu’aux habiles. Elles ne profitent surtout qu’aux hommes qui savent ce qu’ils veulent et restent unis pour le vouloir. La Diète de 1861 ne sut répondre opportunément ni à Pesth, ni à Vienne. Dès le début elle se divisa. Les uns, sous le nom de parti national, s’obstinèrent à réclamer l’autonomie ; les autres, que l’opinion devait baptiser magyarons, — le nom, du reste, a survécu, — conseillèrent inutilement l’entente avec les Hongrois. Dans le fond, comme il arrive presque toujours en pareille matière, ce ne sont pas les opinions qui parlaient, mais les intérêts et surtout les tempéramens. A l’aversion du despotisme autrichien, au besoin longtemps comprimé d’être à soi, les nationaux mêlaient une conception presque trop fière des droits et des destinées de leur patrie. La Croatie militante de Jellacic et littéraire de Louis Gaj s’exprimait par leur bouche. Du côté des magyarons inclinaient, par une association singulière, l’opportunisme aristocratique et les passions blessées, — magnats escomptant, dans un retour aux institutions traditionnelles, la restauration des privilèges abolis en 1848, — patriotes démocrates, en petit nombre, qu’un instinct semi-révolutionnaire, un grain de folie libérale, poussaient vers la patrie de Kossuth, en aversion d’une cour classique dans les annales de l’autorité.

Le parti national dominait à la Diète. Il en profita pour faire œuvre théorique de Constituante. Sa grande préoccupation, — qui s’affirme dans un acte resté célèbre, — fut d’établir qu’aucun rapport de droit ne préexistait entre les Croates et la Hongrie. Le même esprit lui dicta une adresse à la Couronne, portant refus de nommer des délégués aux conseils de l’Empire.

A la suite de l’adresse, la Diète fut dissoute. C’était au ministère à prendre son temps : il ne la convoqua de nouveau qu’en 1865. Dans cette assemblée un troisième parti se dessine. Il s’appelle autonome, et l’ironie veut que ce titre couvre une