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bouche haletante, les tempes humides, les yeux effarés font pitié, malgré, l’épouvante, les cris, la mort à deux pas, il est clair pour qui sait voir, que cette pompe équestre, ces bannières auvent, ce centurion en cuirasse qui se renverse sur son cheval avec un beau geste, et dans lequel on reconnaît les traits de Rubens, tout cela fait oublier le supplice et donne la plus manifeste idée d’un triomphe. Telle est la logique particulière de ce brillant esprit. On dirait que la scène, est prise à contresens, qu’elle est mélodramatique, sans gravité, sans majesté, sans beauté, sans rien d’auguste, presque théâtrale. Le pittoresque, qui pouvait la perdre, est ce qui la sauve ; la fantaisie s’en empare et l’élève. Un éclair de sensibilité vraie la traverse et l’ennoblit. Quelque chose comme un trait d’éloquence en fait monter le style. Enfin je ne sais quelle verve heureuse, quel emportement bien inspiré, font de ce tableau justement ce qu’il fallait qu’il devînt, un tableau de mort triviale et d’apothéose[1]. »

Tachons d’entendre certaines pages de musique italienne, le Quæ mœrebat de Rossini, par exemple, et même celui de Pergolèse, comme Fromentin voyait certains tableaux de Rubens. Laissons-nous gagner nous aussi par cet emportement bien inspiré, cette verve heureuse, par ces traits d’éloquence et ces éclairs, par cette mélodie qui sauve ce qu’elle pouvait perdre et change le deuil en apothéose. Au fond a-t-elle si grand tort ? Que s’est-il accompli sur le Calvaire ? Un mystère d’horreur, mais aussi de bénédiction ; un forfait, mais un bienfait inouï. De la mort passagère y naquit la vie éternelle, et Pergolèse, en éclairant de quelque joie son douloureux sujet, n’a peut-être fait que le mieux comprendre, et le révéler plus profondément.

Et puis, et surtout n’enviez pas au jeune mourant ce furtif sourire, ce rayon sitôt évanoui. Un jour peut-être (en son pays il en est de si beaux ! ) un jour il aura regardé au dehors, et voyant que le ciel était pur et que les flots étaient bleus, il aura cru guérir, il aura cru revivre. Alors son cœur a battu d’espoir, il a chanté son illusion ravie, la mélodie heureuse a oublié les tristes paroles, et à cet oubli d’un instant la Mère de douleurs elle-même aura certainement pardonné.

Aussi bien cet instant fut court. « Quand l’espérance trop lente commençait à flatter sa peine, la mort s’est offerte à sa vue[2]. » Le dernier tercet du Stabat de Pergolèse est sublime. « Quando corpus morietur… Quand mourra le corps, faites qu’à l’âme soit

  1. Eugène Fromentin, les Maîtres d’autrefois.
  2. Vauvenargues.