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et souffrait. » Par quelle singulière contradiction ces tristes paroles ont-elles provoqué, chez Pergolèse, et jusque chez Palestrina, ce mouvement et presque ce transport ! Oui, Palestrina lui-même les a revêtues le premier non seulement de force, mais d’allégresse. Il les a marquées de syncopes éclatantes, en deux ou trois mesures où s’annonce, deux siècles à l’avance, l’air éclatant et syncopé aussi de Pergolèse. À cet air, écrit pour contralto, le timbre de cette voix donne, il est vrai, quelque gravité. Mais avec cela, malgré cela, quel accent de fête ! Quel retour, quelle rentrée dans l’art religieux, de l’âme italienne, de l’âme de joie retrouvée et incapable de se contraindre à de trop longues douleurs ! Admirons ici la beauté pour elle-même, eu elle-même, et non plus au service de la loi. Une strophe pareille n’est plus d’église, mais de concert, presque de salon. C’est dans un salon, d’ailleurs attentif et recueilli (on était en carême), mais enfin dans un salon, que nous entendîmes pour la première fois le Stabat de Pergolèse, et des pages comme celle-ci n’y parurent point déplacées. Une assistance choisie, un peu mondaine, écoutait ; les deux cantatrices étaient en toilette sombre, mais en toilette pourtant, et cette œuvre et ce milieu s’accordaient harmonieusement.

Si maintenant du Stabat de Pergolèse, ne fût-ce que pour un instant, nous passions à celui de Rossini, c’est là que nous trouverions le germe, le germe fâcheux épanoui : non plus seulement comme dans Pergolèse quelques touches trop vives, mais un éclat continu et parfois blessant ; une œuvre d’un bout à l’autre retentissante de joie ; toute onction absente, toute douleur méconnue ; toute prière changée en cavatine d’opéra, l’arbre de la croix disparu sous les fleurs. Corruption, avons-nous dit, et décadence. Mais est-ce bien ce qu’il faut dire ? Qu’y a-t-il après tout ici que le terme fatal d’une évolution nécessaire, l’emportement de l’âme italienne jusqu’au bout, jusqu’au de la de soi-même, le triomphe du génie d’une race se soumettant un sujet au lieu de s’y soumettre ? N’en est-il pas ainsi toujours, et des artistes, des grands artistes, lesquels furent jamais les plus nombreux, ceux qui s’effacent ou ceux qui s’affirment ? Ailleurs même qu’en Italie, en Flandre, rappelez-vous au milieu de quelles fanfares de couleurs, de quelles symphonies triomphales, expire sur les toiles de Rubens le fils de la Mère désolée. Souvenez-vous de certaine Montée au Calvaire, qui se voit au musée de Bruxelles. « Le Christ est mourant de fatigue, sainte Véronique lui essuie le front ; la Vierge en pleurs se précipite et lui tend les bras ; Simon le Cyrénéen soutient le gibet ; — et, malgré ce bois d’infamie, ces femmes en larmes et en deuil, ce supplicié rampant sur ses genoux, dont la