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mon fils, visage charmant, mon fils, pourquoi le monde t’a-t-il si cruellement outragé ? Jean, fils qui viens de m’être donné, ton frère est mort, et j’ai senti le couteau qui m’a été prophétisé et qui a tué d’une même blessure la mère et son enfant. »

Voilà, sous la forme dramatique, le sujet dont la séquence latine donne la forme lyrique. Quant à la musique du Stabat, est-elle comme le texte l’œuvre de Jacopone ? Bien que rien ne le prouve, il est permis de le croire, car Jacopone était musicien et musicien compositeur ; mais il se pourrait aussi qu’il eût adapté les paroles du Stabat à quelque mélodie populaire de son temps et de son pays. Tout le monde connaît le Stabat liturgique ; pour le bien connaître, il faut l’entendre le soir du vendredi saint à Notre-Dame, chanté par des centaines de voix d’hommes, escortant de son grave unisson les reliques portées à travers les nefs : les épines, le clou, l’éclat sacré du bois même contre lequel s’est tenue debout la Mère douloureuse. « La liturgie catholique, écrit Ozanam[1], n’a rien de plus touchant que cette complainte si triste, dont les strophes monotones tombent comme des larmes ; si douce qu’on y reconnaît bien une douleur toute divine et consolée par les anges ; si simple enfin dans son latin populaire, que les femmes et les enfans en comprennent la moitié par les mots, l’autre moitié par le chant et par le cœur. »

Ozanam a raison ; le Stabat est simple, il est triste et il est doux. Peut-être même un peu trop doux : hommage de pieux respect plutôt que de tendresse émue. Il manque à cette psalmodie en majeur la note pathétique, cette note sensible altérée, par exemple, qui fait si tragique un autre chant contemporain du Stabat, le Dies Iraæ. Tous deux se ressemblent encore par l’affranchissement des lois prosodiques, par le rythme et la notation en longues valeurs isochrones. Mais tandis que la mélodie du Dies Iræ commence par descendre, celle du Stabat monte au contraire, comme pour se dresser elle aussi debout au pied de la croix. Enfin la plus notable particularité du Stabat liturgique, par laquelle il se distingue de tous les autres, c’est la division en strophes identiques. Elle donne au chant un grand caractère d’unité, quelque chose aussi de surnaturel, de supérieur à la brièveté de nos douleurs humaines, quelque chose d’inconsolable éternellement.

Le Stabat de Palestrina n’est pas moins un que celui de la liturgie ; il l’est seulement par d’autres moyens : non plus par la répétition, mais par la continuité. Sans un arrêt et sans une

  1. Op. cit.