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l’attendre à Zaribrod, c’est-à-dire à la frontière : toute la population de cette ville et des environs se pressait à la gare. À peine le train a-t-il été aperçu que les hourras ont éclaté. À sa sortie du wagon, le métropolite a été l’objet de manifestations enthousiastes : c’était, disent les dépêches, à qui s’efforcerait de lui baiser les mains. Il a dû prononcer quelques paroles. « La députation, a-t-il dit, a trouvé la Russie animée des mêmes sentimens qui l’ont amenée autrefois à faire la guerre pour la libération de la Bulgarie : la Russie aime aujourd’hui la Bulgarie comme elle l’a toujours aimée. » Et le peuple de crier : « Vive la Russie ! Vive le tsar ! » On ne dit pas qu’il ait ajouté : « Vive le prince Ferdinand ! » À Sofia les mêmes scènes se sont reproduites. Les abords de la gare étaient encombrés de monde. Les corporations étaient là avec leurs drapeaux. Mais ce qui donnait à la fête une signification officielle, c’était la présence de M. Stoïlof, président du Conseil, des ministres de la justice, de la guerre et des affaires étrangères, enfin du maréchal de la cour. Au moment où le métropolite Clément est descendu du train, la foule s’est précipitée sur lui dans un élan que rien n’a pu contenir. Il a dû se réfugier, avec les membres du gouvernement, dans la salle d’attente de la gare, et il a eu beaucoup de peine à en sortir ensuite pour se rendre à son palais. Là, il a fallu qu’il se montrât sur un balcon, pour prononcer les mêmes discours qu’à Zaribrod. La Russie, a-t-il dit d’après les dépêches, ne désire que le bien et la prospérité de la Bulgarie ; et il a affirmé que le prince et le gouvernement, s’ils agissaient de concert, réussiraient certainement à atteindre le but désiré de tous, — paroles un peu vagues, qu’il faut laisser à l’avenir le soin d’expliquer et de confirmer. Quoi qu’il en soit, les sentimens de la Bulgarie envers la Russie, longtemps étouffés dans leur manifestation extérieure par le dur despotisme de M. Stamboulof, ont fait tout d’un coup une explosion formidable. Le gouvernement et le prince lui-même ont contribué à déchaîner ce mouvement lorsqu’ils ont autorisé la députation bulgare à se rendre à Saint-Pétersbourg : auront-ils maintenant la force de le contenir ou de le régler ? Quant à la Russie, son attitude paraît très nette, très claire, très positive si l’on se reporte au texte littéral du traité de Berlin qu’elle invoque, mais très confuse, obscure même, et négative si l’on se reporte à l’état de choses qui existe en Bulgarie depuis près de dix ans.

Ce n’est donc pas sans quelques préoccupations que les regards se tournent vers les Balkans. Toutefois, une des principales causes d’inquiétude qui venaient de là semble avoir disparu, et c’est un fait à enregistrer avec satisfaction. Bien que le gouvernement bulgare ait montré une médiocre énergie à combattre sur son territoire la formation des bandes destinées à passer en Macédoine pour y fomenter une agitation révolutionnaire, cette agitation est arrivée à son terme. L’entente unanime des grandes puissances n’a pas peu contribué à atteindre