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entre le souverain et ses sujets. Aux difficultés intérieures d’une pareille situation devaient s’ajouter bientôt les difficultés venues du dehors. Rêver et poursuivre une réconciliation avec la Russie, alors qu’on maintenait et qu’on fortifiait contre elle une barrière religieuse, était pure chimère. Henri IV estimait que Paris valait bien une messe : le prince Ferdinand, qui a dans ses veines quelques gouttes du sang de Henri IV, est-il du même avis ? Sous un langage qui semblait sibyllin, peut-être seulement parce qu’il était embarrassé, le métropolite Clément et M. Théodorof, président du sobranié, ont laissé entendre que tout s’arrangerait sans beaucoup de peine, qu’il suffisait d’attendre un peu ; que le prince savait ou saurait ce qu’on attendait de lui ; enfin que le cœur de la Russie était toujours magnanime. Quand on leur demandait si le prince Ferdinand avait approuvé l’envoi de la mission bulgare à Saint-Pétersbourg, ils répondaient que oui. Le prince, la mission, le gouvernement russe, tout le monde semblait d’accord ou sur le point de l’être. La réconciliation était à l’ordre du jour. Mais, hélas ! au moment même où le métropolite Clément quittait Vienne et s’apprêtait à rentrer à Sofia, où il a été reçu avec un enthousiasme dont nous aurons à parler, paraissait dans les journaux la note suivante, qui porte tous les caractères d’un communiqué officieux : « La Russie n’a aucun motif pour se réconcilier avec le « peuple « bulgare, pour cette simple raison que ce peuple n’a jamais cessé de manifester sa reconnaissance à ses frères du Nord auxquels il doit son indépendance. C’est ce qui explique l’accueil cordial que la députation bulgare a trouvé à Saint-Pétersbourg. De son côté, la Russie, fidèle aux traités, n’entretiendra jamais de rapports avec ceux auxquels on donne indument le nom de « gouvernement bulgare ». Tant que la Bulgarie officielle restera soumise à un régime illégal imposé par un usurpateur, il ne conviendra pas à la Russie d’avoir des relations avec elle. Le gouvernement russe se place strictement sur le terrain du traité de Berlin, dont il demande l’exécution. D’après ce traité, le prince de Bulgarie doit être nommé par un sobranié légal, et cette élection, après avoir reçu l’approbation de la Porte, doit être ratifiée par toutes les puissances signataires du traité. »

Jamais douche d’eau glacée n’a produit plus d’effet que cette note. On en a contesté l’origine officielle et nous ne voudrions pas la garantir ; on s’est demandé s’il fallait la prendre au pied de la lettre ; on a rappelé les assurances données à Saint-Pétersbourg aux délégués bulgares, à savoir que le tsar n’avait personnellement aucun grief contre le prince Ferdinand ; enfin on a essayé, par tous les moyens, de diminuer l’importance de la manifestation et d’atténuer l’émotion qu’elle a produite. On assure que M. Zankoff, le chef du parti russophile en Bulgarie, aurait dit que si le prince Ferdinand était réélu par un sobranié légal, la Russie le reconnaitrait. Mais M. Zankoff en est-il bien