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Il semblait suspendu aux lèvres d’Hippolyte.

— Non, non. Restons ici. Tu vois dans quel état je suis ?

Elle indiquait ses vêtemens chiffonnés et relâchés.

— Qu’importe ? Qui nous verra ? À cette heure, on ne rencontre âme qui vive. Viens comme tu es. Moi aussi je sors sans chapeau. Le pays est presque un jardin pour nous. Descendons.

Elle hésita quelques secondes. Mais elle-même éprouvait le besoin de changer d’air, de s’éloigner de cette maison où il lui semblait entendre résonner encore l’écho de ses horribles rires.

— Descendons, consentit-elle enfin.

À ce mot, George crut que son cœur cessait de battre.

D’un mouvement instinctif, il s’approcha du seuil de la chambre pleine de lumière. Il jeta à l’intérieur un regard d’angoisse, un regard d’adieu. Tout l’ouragan des souvenirs s’éleva dans son âme éperdue

— Laissons-nous la lampe allumée ? demanda-t-il sans y penser.

Et sa propre voix lui donna une sensation indéfinissable de chose lointaine et étrangère.

— Oui, répondit Hippolyte.

Ils descendirent.

Dans l’escalier, ils se prirent par la main, posant le pied de marche en marche, avec lenteur. George faisait un effort si violent pour réprimer son angoisse que cet effort même lui causait une exaltation étrange. Il considérait l’immensité du ciel nocturne et le croyait rempli par l’intensité de sa propre vie.

Ils aperçurent sur le parapet de la cour une ombre d’homme, immobile et silencieuse. Ils reconnurent le vieillard.

— Vous ici à cette heure. Colas ? lui dit Hippolyte. Vous n’avez donc pas sommeil ?

— Je reste pour veiller Candie en mal d’enfant, répondit le vieillard.

— Et tout va bien ?

— Oui, bien.

La porte de l’habitation était éclairée.

— Attends une minute, dit Hippolyte à son amant. Je vais voir Candie.

— Non, n’y va pas à cette heure, pria George. Tu la verras au retour.

— C’est cela : je la verrai au retour. Adieu, Colas.

Elle fit un faux pas en s’engageant dans le sentier.

— Prends garde ! avertit l’ombre du vieillard.

George lui offrit le bras :

— Veux-tu t’appuyer ?