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de la chaleur, portait surtout sur la forme de ces principes ; mais ceux qui méditaient attentivement ces principes entrevoyaient déjà l’époque où le fond même en serait bouleversé ; les théories de Laplace se conciliaient difficilement avec les résultats de l’expérience célèbre que Gay-Lussac avait faite en 1807 ; les idées de Carnot conduisaient à penser que la pression influait sur le rapport des deux chaleurs spécifiques d’un gaz, tandis que les expériences de Gay-Lussac et de Welter semblaient prouver que ce rapport est indépendant de la pression ; aussi les esprits prudens souscrivaient-ils volontiers à ce jugement de Sadi-Carnot. « Les principaux fondemens sur lesquels repose la théorie de la chaleur auraient besoin de l’examen le plus attentif . Plusieurs faits d’expérience paraissent à peu près inexplicables dans l’état actuel de cette théorie. »

La revision des principes de la théorie de la chaleur allait être rendue nécessaire par une renaissance des idées cartésiennes. Cette revision, Sadi Carnot l’a entreprise, Robert Mayer l’a inaugurée, Clausius l’a menée à bonne fin.


III


Le XVIIIe siècle avait rejeté les unes après les autres toutes les hypothèses sur lesquelles les cartésiens avaient fondé la physique : la théorie de l’attraction universelle avait eu raison de la doctrine des tourbillons ; l’optique de l’émission avait remplacé l’optique des ondulations. S’il est toutefois une branche de la physique où la défaite des idées de Descartes ne fût pas absolue, où le triomphe des doctrines nouvelles ne fût pas entièrement assuré, c’est assurément la théorie de la chaleur.

Newton, qui fut le véritable initiateur de la physique du XVIIIe siècle, avait conservé sur la chaleur des idées semblables de tout point à celles de Descartes : « La lumière, dit-il, n’agit-elle pas sur les corps pour les échauffer et exciter en leurs diverses parties ce mouvement vibratoire qui constitue la chaleur ? L’émission de la lumière n’est-elle pas produite par les mouvemens vibratoires des corps échauffés ? » Il fallut un siècle de recherches physiques, l’explication des phénomènes électriques et magnétiques par les actions des fluides impondérables, la découverte de l’absorption de chaleur latente qui accompagne la fusion et la vaporisation, pour que la plupart des physiciens renonçassent à regarder la chaleur comme un très petit mouvement des particules matérielles et consentissent à l’attribuer à une substance spéciale. Encore leur confiance dans l’existence du calorique ne fut-elle jamais aussi complète que leur foi en la réalité des cor-