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voltairien est une sottise, les religions, avec leur fond de mystères inscrutables, se sont lentement desséchées ; et il semble qu’il ne reste plus rien qu’une tristesse sans remède. Mais voici cependant qu’au monde désolé un immense espoir apparaît, un espoir sûr, clair, patient, sorti de deux principes lentement dégagés par la science moderne, celui de l’unité de la substance et celui de l’évolution. au-delà de l’esprit et de la matière, vieux mots qui n’expriment que des phénomènes, cette substance réside, calme, sereine, impersonnelle, inconnaissable, et l’esprit et la matière, que nous sentons et voyons, indivisibles et égaux sortent d’elle éternellement, s’engendrant sans cesse l’un l’autre, d’un mouvement infini, d’un flux harmonieux. Dans l’étendue de l’espace sans bornes, dans le temps illimité, les phénomènes naissent, meurent et renaissent en se transformant, et la loi rythmique qui les mène se nomme l’évolution.

« Dernier anneau de cette évolution, agrégat lui-même de phénomènes passagers, l’homme disparaît lorsqu’ils se dissolvent. Qu’importe que son âme ne soit point immortelle : il conçoit l’immortalité des causes, et complice conscient de la nature inconsciente, dont il émane et où il rentre, il cherche à deviner où elle va, hésite, tâtonne, se trompe parfois, et finit par triompher. Unissant et compensant dans l’intérêt général la somme des intérêts particuliers, domptant les élémens, luttant patiemment contre la maladie et la misère, il est roi, il passera Dieu.

« Mais combien il faudra qu’il lutte encore contre lui-même ! Son amour du prochain, sa passion de dévouement, son idéal de pureté provenant du fait expérimental que toute la force nerveuse consacrée aux vils instincts est perdue pour le cerveau, toutes ses plus belles conquêtes sont aussi les plus récentes, et par conséquent les moins assurées. Chaque jour encore il fait des chutes profondes. Il n’a pas tué encore en lui la brute originelle, il abuse de sa force contre son frère, il le regarde égoïstement mourir de faim, il se rue à la guerre, il se rue à l’amour sensuel, il applique avec art toute cette intelligence qu’élaborèrent les siècles à satisfaire des désirs d’animal encore inférieur, à détruire les chances d’augmenter cette intelligence. »

Vous avez reconnu les théories que je résume. Elles étaient dans Auguste Comte, dans Spencer, dans Darwin. Peut-être y a-t-il là cependant, quelque chose de plus, la nécessité du renoncement personnel, considéré comme indispensable pour mener l’humanité à sa perfection. Ce fut là un des côtés intéressans du mouvement séculariste tel que Mme  Besant prétend l’avoir conçu. Je dis « prétend », car il est bien possible qu’elle mêle inconsciemment ses idées actuelles à l’exposé de celles qu’elle n’a plus.