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malades par lui, ou, plus exactement, il est malade en nous, — et nous en mourrons s’il reste ce que les hommes d’avant nous l’ont fait.


I. — NATURE ET STRUCTURE DE L’ÉTAT MODERNE

Qu’est-ce donc que l’État moderne ? Il se peut définir ainsi : en théorie, c’est un État de droit ; en fait, c’est un État construit par en bas. Mais la définition elle-même a besoin d’être définie, et, dans sa première partie surtout, appelle une explication, car cette expression « un État de droit » est susceptible de bien des acceptions différentes.

Un « État de droit » est, d’abord, un État où tout est réglé par la loi, où rien n’est laissé au hasard, à l’arbitraire ou au bon plaisir, — lequel n’est que le hasard passant à travers l’esprit d’un maître. C’est un État où, rien ne se faisant que par la loi, la loi s’occupe et décide de tout. On y restreint aux dernières limites, on pousse dans les derniers retranchemens, on y coupe jusqu’aux racines la tradition, la coutume, tout ce qui n’est pas la loi écrite. Et la loi n’y est pas seulement, comme dans l’État plus ancien, un agent d’ordre et de conservation, mais un facteur de force, de mouvement et de transformation sociale. La loi, par suite, y devient toute-puissante, ou, du moins, elle y doit être, en principe, plus puissante que tout. Par suite aussi, la législation y est très abondante, et, par suite encore, l’organe législatif, la législature, y prend insensiblement une importance tout à fait hors de pair, une prépondérance absolue.

Mais, dans l’État moderne, le pouvoir législatif ne réside plus, ainsi qu’il résidait jadis, en la personne d’un chef, plus ou moins assisté de quelques conseillers : il réside ou il est censé résider dans le peuple, qui, suivant les cas, ici, l’exerce directement et, là, le délègue à des représentans élus. La loi n’est donc plus ce qu’elle était dans l’État plus ancien, l’œuvre d’un seul ou de quelques-uns, qui lui demeuraient comme extérieurs et supérieurs : elle est ou elle est censée être l’œuvre de tous, élaborée par tous ou par les représentans de tous. Dans l’État moderne, — qu’il soit royaume, empire ou république, — personne n’est plus en dehors ni au-dessus de la loi : le législateur lui-même, celui qui fait la loi, y est dans la loi et sous la loi. Personne n’y a de droits qui ne s’arrêtent au point où ils rencontrent les droits des autres ; de manière que tous ont ou soûl, censés avoir les mêmes droits et des droits égaux.

En somme, dans l’État de type antérieur, la loi ne s’étendait