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de l’exactitude et de la gravité des faits : on ne rencontrait que le silence, probablement celui de la terreur. L’Angleterre, la France, la Russie, se sont émues. Elles ont agi à Constantinople, et, comme nous l’avons raconté il y a quelque temps, une commission ottomane, à laquelle ont été adjoints les délégués des consuls anglais, russe et français à Erzeroum, a été chargée de faire une enquête. Elle l’a faite, et celle-ci n’a pas été sans résultats. Pendant les premières semaines, le vide a été habilement opéré autour de la commission. On ne lui a présenté que des témoins officiels ou officieux bien endoctrinés, qui ne savaient rien, qui n’avaient rien vu, qui ne pouvaient ou ne voulaient rien dire. Mais, finalement, les délégués européens se sont renseignés eux-mêmes ; ils se sont rendus sur les lieux qui leur avaient été signalés comme ayant été le principal théâtre des violences commises, et les faits ont alors parlé à leurs esprits, ou plutôt à leurs yeux. Des villages incendiés, dont la population avait cherché un refuge dans les villages voisins, présentaient des ruines évidemment récentes. Enfin plusieurs fosses ont été découvertes, remplies de cadavres, dont quelques-uns avaient été mutilés. La réalité des incendies et des massacres ne pouvait plus être contestée. Les délégués européens ont adressé des rapports à leurs ambassadeurs respectifs, et ceux-ci se sont mis d’accord pour présenter au sultan un plan de réformes, réformes qui avaient été formellement promises au Congrès de Berlin, dont la Porte devait rendre compte annuellement aux puissances, et que l’Angleterre s’était engagée à surveiller de Chypre, mais qui n’ont jamais été faites et dont on n’a parlé qu’à des intervalles et avec des intermittences assez éloignés. Quelle a été l’attitude de notre diplomatie dans ce dernier incident ? A-t-elle été inspirée par une politique nouvelle, rompant avec les traditions du passé ? Cela aurait été vrai si nous nous étions abstenus, car nous n’avons jamais laissé, jusqu’à ce jour, une question de cette nature se régler en Orient sans notre participation. Cela encore aurait été vrai si, abandonnant le rôle de médiateurs et de modérateurs, nous avions pris exclusivement parti pour un des intérêts en présence, et pour la politique particulière de telle ou telle puissance. Nous n’en avons rien fait. L’action de notre ambassadeur à Constantinople s’est constamment exercée dans le sens de la conciliation, et elle a été efficace. Nous avons utilement contribué à la rédaction du plan de réformes qui a été soumis à Abdul-Hamid. Reste à le faire agréer par lui, ce qui n’est pas le plus facile. Si le sultan comprenait son intérêt, il s’empresserait de clore par une prompte acceptation une question qu’il est très imprudent de laisser ouverte, à cause des complications qui risquent toujours de s’y greffer. L’accord entre les trois puissances, bien qu’il soit parfait, n’est peut-être pas immuable au point que des exigences nouvelles ne puissent pas se produire. Pendant que le sultan hésite, tâtonne, accepte tel article, conteste tel