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littoral breton, où la vague tournoie et tonne quand la marée monte. Il y a des garde-fous en fil de fer, une terrasse cimentée, avec une cabane pour les marchands de gâteaux. Heureusement cet excès de civilisation ne gâte qu’un point négligeable de la falaise, qui s’en va, rousse et bordée de lumière aveuglante, jusqu’au cap da Roca, le plus occidental de l’Europe. Ces mots-là sonnent bien, et je regarde avec complaisance ce cap, le plus occidental... Puis, un détour dans les terres, et alors, de vrais jardins, des parcs touffus, des promenades plantées de palmiers magnifiques, de bananiers, et une foule de maisons d’un grand luxe peintes de couleurs tendres, toutes fraîches, toutes pimpantes. La plus belle est peut-être celle du duc de Palmella. Mais le noble duc a bâti non loin de là un chalet pour ses gens de service; une liane s’est emparée de cette construction plus modeste qu’on lui abandonnait, et je ne sais pas d’architecture comparable à ces buissons de grappes mauves dont elle couvre les fenêtres.


LES JARDINS DE CINTRA


Lisbonne, 13 octobre.

Cintra est un nid de verdure, une station d’été très élégante, dans une toute petite sierra hérissée d’arbres, qui se lève à peu de distance de Lisbonne, suit une ligne parallèle au Tage et finit dans la mer. La cour y passe près de trois mois, de juillet à la mi-septembre, et descend, quand la chaleur s’apaise, vers le château de Cascaes, où elle habite jusqu’aux premiers jours de novembre. Le roi, dit-on, préfère le mouvement de Cascaes, les promenades et les excursions de pêche à l’embouchure du Tage ; la reine a une prédilection pour les ombrages recueillis de Cintra, pour ces beaux chemins en pente, aux tournans difficiles, où elle conduit à quatre, avec une adresse merveilleuse.

Le paysage est romantique à souhait. En une heure de chemin de fer, à travers une banlieue pleine de jardins, de villas et de moulins à vent dont les ailes de toile dessinent une croix de Malte, on atteint le pied de la montagne. Là commence l’enchantement. Vue d’en bas, la montagne est toute bleue ; elle porte au sommet un grand château qui paraît, lui aussi, fait avec de l’azur, et qui tord ses murailles autour de toutes les pointes de roche, qui dresse, en plein ciel, la silhouette la plus compliquée de tours rondes et carrées, de terrasses crénelées, de coupoles revêtues de faïence et luisantes vaguement. On monte à cheval ou à âne, et, dès qu’on a dépassé le village de Cintra, la forêt vous enveloppe, forêt de sapins mêlés d’ormes, d’eucalyptus et de bouleaux.