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lui qu’on aurait fait croire que l’alliance avec la France, dans les conditions qui lui ont été assignées par les interpellateurs de lundi dernier, aurait été une alliance de paix. Ce sont là des choses qu’on peut dire à la tribune, bien qu’il vaille assurément mieux s’en abstenir, mais qu’on n’oserait pas répéter dans les chancelleries. On se heurterait à un bon sens rigide qui en aurait bientôt fait justice.

M. Goblet, en calomniant le gouvernement, s’est d’ailleurs calomnié lui-même. Sa politique n’a pas été inerte lorsqu’il a été aux affaires, et s’il y était encore, il n’en suivrait pas une autre que celle du ministère actuel. Tout l’effort de l’opposition, et il a été impuissant, a consisté à soutenir qu’il y avait quelque chose de nouveau dans notre politique extérieure : à l’entendre les tendances en étaient modifiées, l’orientation en était changée. Le gouvernement n’a eu aucune peine à prouver qu’il n’en était rien. Que lui reproche-t-on en effet ? D’aller à Kiel ? Est-ce que nous ne sommes pas allés plusieurs fois déjà à Berlin, et dans les circonstances les plus diverses ? Est-ce que notre abstention, alors que toutes les puissances maritimes, y compris la Russie, avaient accepté l’invitation de l’Allemagne, n’aurait pas accusé un parti pris d’hostilité ? Nous aurions jeté une note discordante au milieu d’un concert tout pacifique. Et c’est en cela que nous aurions vraiment inauguré une politique nouvelle. Aussi longtemps que nous serons en paix avec l’Allemagne, nous devons pratiquer à son égard le protocole de la paix. Rendre une politesse internationale est un fait qui n’a d’autre importance que celle qu’on y attache : il n’en serait pas de même si on la repoussait et si on se dérobait aux obligations qui en découlent. M. Hanotaux a rappelé avec beaucoup d’opportunité que, lorsque nous nous sommes fait représenter au Congrès social convoqué à Berlin par l’empereur Guillaume peu de temps après son avènement au trône, les mêmes reproches ont été adressés au gouvernement de cette époque, les mêmes accusations, les mêmes violences, et aussi les mêmes prophéties qu’on s’efforçait déjà de rendre sinistres. Que reste-t-il aujourd’hui de tant de déclamations ? Rien, pas même le souvenir. Ainsi passent ces effervescences artificielles qui ne remuent que la surface la plus légère de l’opinion. Le rapprochement fait par M. Hanotaux a établi la vérité de son assertion, à savoir que notre politique était restée fidèle à elle-même, puisqu’elle soulève précisément les mêmes reproches et les mêmes accusations qu’autrefois.

Ce n’est pas notre politique qui a changé ; ce sont les moyens dont elle dispose et, par conséquent, les procédés qu’elle emploie. Elle est toujours pacifique, mais les garanties qu’elle trouve dans une grande alliance nous permettent de croire que nous ne serions pas attaqués impunément, et cela suffit pour nous donner une allure plus confiante. Quand même notre rapprochement avec la Russie ne nous assurerait pas autre chose, ce seul avantage serait considérable, et notre gouver-