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physique ou peinture, qu’importe ? C’est le même procédé à travers les siècles : enrichir l’art de tout ce que produit le temps, élargir les élémens de beauté en les cherchant dans tous les domaines de l’activité humaine… Où ça la clarté française ? Rabelais, si obscur et si diffus, si savantasse, et qu’aujourd’hui tous les cuistres adorent ? Racine, où chaque phrase est un modèle de contorsions et d’images extraordinaires ?… » Admettons donc le principe, et ayons l’air d’en comprendre le développement. Tenons Rabelais et Racine pour des génies de même ordre, et dont l’exemple peut être invoqué pour une même démonstration. Passons à M. Rosny ses termes scientifiques. Laissons-le parler d’idiosyncrasie et d’entéléchie, de palingénésie, d’adynamie et d’osmose, puisque aussi bien il éprouve à user de ces vocables un visible contentement et que leurs syllabes lui procurent d’intenses jouissances. Il sera convenu seulement que pour lire ses romans on devra tenir à portée de la main le Dictionnaire universel des sciences. C’est le moins qu’on paie son plaisir d’un peu de peine. Passons-lui l’emploi de termes rares : pertinace, abstème, coupetées… Acceptons telles façons de parler que lui ont enseignées les Goncourt : « Tout l’occulte des nocturnités lui travailla l’unie et s’intimisa dans sa souffrance… Toutes ces raisons après avoir paru se classer, fuyaient dans sa mentalité… Il éteignit les fanaux de la ratiocination. » Ne nous demandons même pas ce qu’il faut entendre par « l’extravase documentaliste. » Feignons d’être sensibles au charme secret de l’adjectif « soiral ». Admirons comme il convient ces images extraordinaires dont Racine lui-même ne s’était pas avisé : « Sa tête de Shoshone, son œil d’éclaireur, sa lèvre autocratique avaient sous la parole de Fougeraye la détente des ravins torrides quand revient l’automne… Ils furent pénétrés de la ténèbre comme d’une parabole à la fois stellaire et microbienne. » Prenons pour une gentillesse et non pour un coq-à-l’ane cette remarque : « Quand elle se levait d’une chaise, la grâce se levait avec elle. » Pourquoi faut-il que nous nous heurtions parmi les néologismes de M. Rosny à des mots tels que « ressurgissement », qui, quoi qu’il en dise, n’existent pas et pour cette seule raison qu’ils ne peuvent pas exister ? Pourquoi emploie-t-il les mots à contresens ou prend-il les uns pour les autres, et dit-il, par exemple : « son aventure peut s’abréger, » quand il veut dire : se résumer ? Pourquoi voit-on fleurir dans son style ce qui, en dépit de tous les noms pompeux et de toutes les appellations emphatiques, n’est que la vulgaire incorrection ? M. Rosny écrit couramment : Ils dissolvèrent, ils poignèrent, ils bruissèrent. On peut dire de même, pour peu qu’on en ait la fantaisie : « je me cassis le bras » ou « je me prendais la tête entre les mains. » Les étrangers qui savent de français ce qu’on en apprend en vingt-cinq leçons n’y manquent pas. Seulement ils ne prétendent pas par là enrichir la langue. Ils l’écorchent, tout bonnement. M. Rosny, familier avec les sciences, sait mieux que nous