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monde où l’on nous introduit est ce milieu populaire que hante le même désir d’une grande refonte sociale. Utopistes, rêveurs de félicité universelle et immédiate, prometteurs d’édens pour tous, détenteurs de panacées ou d’explosifs, partisans de la propagande par la parole ou par le fait, ceux qui poussent à la révolte et ceux qui conseillent le calme, les révolutionnaires et les évolutionnistes, politiciens d’extrême gauche, socialistes, anarchistes, les miséreux, les haineux, les fanatiques, tout ce personnel défile devant nous, troupe obscure et menaçante. Les théories s’entrechoquent dans l’intimité des arrière-boutiques ; elles se déroulent fumeuses dans l’atmosphère enfumée des salles de réunion. L’auteur a le don de manier les masses. Il les anime ces masses populaires en quelques scènes d’un puissant relief ; il nous les montre violentes, terribles, soit qu’il s’agisse d’ « exécuter » un faux frère ou de tenir la police en échec dans l’échauffourée du Père-Lachaise. Réformateurs ou simples émeutiers, ce qui caractérise tous ces pauvres raisonneurs, c’est qu’ils n’aperçoivent de chaque question qu’un côté. Le personnage qu’on appelle le Bilatéral aperçoit les deux côtés des questions. Son surnom lui vient de là. Et c’est ce qui fait qu’on le tient pour suspect.

Même atmosphère dans Marc Fane, mêmes discussions, mêmes scènes qui se répètent d’un livre à l’autre. Seulement, tandis que tout à l’heure l’intérêt était dispersé, réparti également sur une foule de comparses, il est ici concentré sur quelques figures de premier plan. On nous dévoile les rivalités des chefs. On nous fait assister, dans une monographie, aux débuts, aux études, aux épreuves, aux alternatives de grandeur et de décadence de l’orateur du parti praticabiliste. On nous dit les rêves, les erreurs, les croyances de Marc Fane : « Marc croyait que le collectivisme révolutionnaire reculerait vers sa position perspective à l’arrière-plan jusqu’à l’heure très distante où l’homogénéisation d’État des intérêts matériels ne se dresserait pas en obstacle à l’originalité, à l’hétérogénéité des êtres, indispensable à une haute civilisation. » Il croyait cela, Marc Fane ! Apparemment c’est qu’il y comprenait quelque chose.

Tous ces livres sont d’un bon élève de l’école naturaliste. On en dirait autant de l’Immolation, étude de paysans qui fait songer à telles des plus brutales entre les nouvelles de Maupassant ; du Termite, étude de mœurs littéraires, le plus franchement détestable, je pense, des livres de l’auteur, tout à la fois prétentieux et lourd, encombré de théories que les personnages sont impuissans à exprimer, et qui nous mène, à travers un fouillis de dissertations furibondes, à cette conclusion médiocre : « Nous sommes tous de petits poissons, de très petits poissons… » Et Vamireh, roman préhistorique, en dépit du titre et du sous-titre, n’est pas autre chose qu’un roman composé suivant la formule et par les procédés ordinaires de l’école du document. C’est la