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belles, ma foi, même au point de vue typographique, et qui représentent de grands personnages de toutes les époques. Le style en a quelque peu vieilli ; c’est le genre des portraits du XVIIIe siècle. Mais il ne faut pas oublier qu’en matière artistique, la Russie en est encore à hésiter entre la tradition byzantine et l’héritage de la Grande Catherine, qui s’était entourée d’artistes français, et avait fait prévaloir en Russie le style Louis XV. Je constate avec satisfaction que les hommes de guerre français sont là en très grande majorité. La cuirasse de Duguesclin, et même les cuirasses moins complètes de Turenne, de Condé, du maréchal de Saxe, les cuirasses élégantes de Dangeau et celles d’autres généraux courtisans, qui ont eu l’heureuse inspiration, pour envoyer leur portrait à Tachkent, de se faire représenter en costume de bataille plutôt qu’en costume de cour, produisent le meilleur effet sur les indigènes, habitués aux cottes de mailles et aux casques persans ou boukhares. La redingote de Pitt et celle de lord Palmerston leur paraissent décidément inférieures, surtout pour des hommes politiques qui se sont mêlés de diriger les affaires de leur pays, et qui ont même eu la prétention d’agir sur celles du monde entier.

Mes interlocuteurs font remarquer, d’une façon que je ne manque pas de trouver très judicieuse, que cette influence anglaise ne s’est pas fait sentir jusqu’à Tachkent. Ils tolèrent le vêtement civil à Corneille et à Racine, et même à Victor Hugo, en leur qualité de poètes. D’ailleurs, je leur fais remarquer qu’en France le métier de soldat est tellement honorifique que certains hommes de plume n’ont pas dédaigné de revêtir la cuirasse : je leur donne comme preuve Agrippa d’Aubigné, dont le portrait se trouve dans le recueil entre celui de Jules César et celui de Jeanne d’Arc. La réunion de ces trois contemporains à l’approbation des autorités indigènes de Tachkent, qui leur trouvent fort bonne mine. Les perruques du grand siècle sont aussi, à leurs yeux, quelque chose d’évidemment martial. Ils en saisissent tout de suite l’utilité pour parer les coups de sabre ; car chez eux, de même que chez les Kirghiz et chez les Turkmènes, le bonnet fourré est l’insigne de l’homme de guerre et est même considéré comme plus pratique dans la mêlée que le casque en métal.

Aussi la magistrature du siècle de Louis XIV, ainsi que toutes les illustrations parlementaires de la France qui, dans les volumes illustrés en question, sont destinées à contre-balancer les grands capitaines, apportent-elles un appoint aussi important qu’inattendu aux gloires militaires françaises. D’Aguesseau, le chancelier Séguier, tous les premiers membres de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, forment, dans ce recueil, une phalange